violences sexistes et sexuellesLes étudiantes en médecine face aux violences sexuelles… et à « l’omerta »

#MeToo hôpital : « C’est l’omerta »… Pour les étudiantes en médecine, des garde-fous insuffisants face aux violences

violences sexistes et sexuellesSi les associations et universités tentent de former les étudiants et les professionnels de santé à la lutte contre les violences sexuelles, dans les faits, la loi du silence règne entre les murs des hôpitaux
#MeToo hôpital : « C’est l’omerta »… Pour les étudiantes en médecine, des garde-fous insuffisants
#MeToo hôpital : « C’est l’omerta »… Pour les étudiantes en médecine, des garde-fous insuffisants - U. Amez/Sipa / Sipa
Lise Abou Mansour

Lise Abou Mansour

L'essentiel

  • Depuis l’accusation portée par l’infectiologue Karine Lacombe contre son confrère urgentiste Patrick Pelloux pour harcèlement sexuel et moral, les témoignages de médecins ou étudiantes en médecine victimes de violences sexistes et sexuelles affluent sur les réseaux sociaux.
  • Si les associations et universités tentent de former les étudiants et les professionnels de santé à ces questions, dans les faits, les victimes rapportent très rarement ces violences à leur hiérarchie, notamment par peur des conséquences.
  • « Certains étudiants ont dénoncé des faits dont ils ont été victimes mais soit l’hôpital n’a rien fait, soit ils ont été victimes de représailles », explique Carla Grassaud, vice-présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France, chargée de la lutte contre les discriminations.

«Après avoir dit quelque chose qui, pour lui, était faux, le médecin a trouvé bon de me mettre une fessée devant des enfants et une patiente. » Ce témoignage fait partie des nombreux reçus par l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf).

Alors que l’accusation portée par l’infectiologue Karine Lacombe contre l’urgentiste Patrick Pelloux pour harcèlement sexuel et moral semble être le début d’un #MeeToo hospitalier, 20 Minutes a cherché à savoir ce qui était mis en place en matière de prévention et d’accompagnement des étudiants en médecine victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS).

Des référents au niveau local

L’Anemf a publié en 2021 une enquête sur les VSS subies par ces mêmes étudiants en médecine, notamment pendant leur stage à l’hôpital. « Nous aurions préféré ne jamais avoir à lire les centaines de commentaires et témoignages accablants reçus », indique l’association. Près d’une étudiante sur deux (49,7 %) raconte avoir déjà reçu une remarque sexiste dans le cadre de son stage. Plus d’une sur trois (38,4 %) dit avoir été victime de harcèlement sexuel, et 6 % d’agression sexuelle.

Au sein des universités, depuis quelques années, des étudiants forment des « trusted people » ou « personnes de confiance ». « Ces étudiants référents écoutent les victimes, les déculpabilisent et leur donnent une information éclairée pour ensuite les réorienter vers les structures et les personnes compétentes », explique Carla Grassaud, vice-présidente de l’Anemf chargée de la lutte contre les discriminations et étudiante en troisième année de médecine à Montpellier.

Mais les structures et personnes compétentes sont rarement saisies. « On reçoit de plus en plus de témoignages d’internes, mais ils ne veulent en aucun cas le faire par écrit ou porter plainte, par peur de sanctions, raconte Margot Martinez, présidente du Syndicat représentatif parisien des internes de médecine générale (SRP-IMG). Ils nous contactent davantage pour se libérer et être accompagnés. » Selon l’étude réalisée par l’Anemf, plus de 80 % des victimes étudiantes interrogées se confient à un proche, 40 % à un interne et 9 % à un étudiant élu… mais elles sont moins de 1 % à le faire auprès du doyen, de l’administration hospitalière ou des forces de l’ordre.

Des formations pour les étudiants et les médecins

Si le nombre de signalements est si faible, c’est notamment à cause d’un manque de connaissance. Selon Carla Grassaud, les procédures sont peu connues du public étudiant ou pas assez accessibles, car « pas mises clairement en avant sur les sites universitaires ou hospitaliers ». L’association a donc mis en ligne un guide de lutte contre les VSS de 96 pages sur son site internet.

Elle organise aussi des « amphithéâtres de sensibilisation » dans de nombreuses universités. « Des corporations, bureaux des élèves ou associations nous appellent pour faire ces amphithéâtres et obligent les étudiants à y assister, explique la vice-présidente de l’Anemf. S’ils sont absents, ils n’auront plus le droit de participer à leurs événements de l’année. » Sur les sept villes où Carla Grassaud a donné une formation cette année, toutes l’ont rendue obligatoire.

Des formations destinées aux chefs de service sont également mises en place par l’AP-HP ou certaines facultés. « Le but est notamment de les aider à prendre en charge les victimes quand ils sont témoins de ce type de comportement, souligne Margot Martinez. On essaie de plus en plus de sensibiliser toutes les catégories de professionnels de santé. » La future médecin l’assure : un certain nombre de chefs de service ont pris conscience du problème et essaient de le prévenir.

Une supériorité hiérarchique

Mais le silence de l’hôpital sur ces violences a une autre origine. « Il y a beaucoup d’omerta dans le cadre hospitalier », souligne Carla Grassaud. Les internes n’oseraient pas dénoncer ce type de comportements de peur de ne pas valider leur stage, d’avoir une mauvaise réputation, voire d’être blacklistés… « Certains étudiants ont dénoncé des faits mais soit l’hôpital n’a rien fait, soit ils ont été victimes de représailles », affirme la future médecin.

Car ces violences sont majoritairement commises par un supérieur hiérarchique, un maître de stage ou un chef de service. « La personne accusée est souvent quelqu’un que le chef de service connaît depuis des années, alors que l’interne vient pour une période de six mois », souligne Maïssa Boukerrou, première vice-présidente du SRP-IMG.

L’interne peut donc se retrouver en porte-à-faux, d’autant plus si la personne accusée occupe un poste prestigieux. « Le poste de praticien hospitalier est sacralisé car très difficile à obtenir », assure Maïssa Boukerrou. Une fois à ce niveau, il serait très difficile d’en être délogé. « Il faut vraiment avoir des tonnes de témoignages et de preuves, sinon tout le monde va dire que c’est un super médecin, très réputé dans son domaine », poursuit la première vice-présidente.

En septembre 2022, un chef de service du CHU de Brest a été suspendu après des soupçons de harcèlement moral sur des internes. Il aura fallu plus de 40 témoignages. « Et il vient d’être muté à Paris », selon Margot Martinez.