fake offComment la ville du quart d’heure est devenue une obsession des complotistes

Comment le concept de la « ville du quart d’heure » est devenu une obsession chez les complotistes

fake offLe concept d’aménagement urbain de la ville du quart d’heure, ou « ville de quinze minutes », est au cœur d’une théorie du complot très prégnante
Une manifestante brandit une pancarte portant l'inscription « Les villes de 15 minutes de LTN, du grand banditisme » devant la BBC.
Une manifestante brandit une pancarte portant l'inscription « Les villes de 15 minutes de LTN, du grand banditisme » devant la BBC. - SOPA Images / SIPA
Achille Dupas

A.D.

L'essentiel

  • Concept d’urbanisme en vogue, la « ville du quart d’heure » est également une des cibles favorites des obsessions conspirationnistes actuelles.
  • A la base, le concept veut que tous les services tels que la culture, les soins ou encore le travail puissent être accessibles à quinze minutes à pied du domicile.
  • Mais, pour les théories conspirationnistes, il s’agit d’un outil de contrôle de la population visant à restreindre ses déplacements.

«Question c***e, mais c’est quoi exactement le problème de la ville de 15 minutes ? » C’est la question que posait récemment un internaute en réponse à une publication conspirationniste, qui s’alarmait que le QR code demandé pour accéder à certaines zones de Paris pendant les JO serait en réalité un « test grandeur nature d’un système de ghettos modernes type "ville de 15 minutes" ».

La ville du quart d’heure a été théorisée par l’urbaniste franco-colombien Carlos Moreno en 2016. « L’idée de base est que les villes devraient être conçues – ou repensées – de manière à ce que les habitants de tous âges, de toutes origines et de toutes capacités, dans toutes les parties de la ville, puissent accéder à leurs besoins quotidiens (logement, travail, nourriture, santé, éducation, culture et loisirs) à une distance de quinze minutes à pied ou à vélo », explique ce dernier.

Comment ce concept a-t-il pu être un terreau fertile pour le développement d’obsessions conspirationnistes, allant jusqu’à s’immiscer dans des manifestations au Royaume Uni ? On va tenter d’y voir plus clair.

« Un instrument de contrôle supplémentaire »

Plusieurs grandes métropoles ont depuis inclus ce concept dans leurs plans de développement. C’est notamment le cas de Paris, qui le revendique explicitement dans sa politique. Le concept a été adopté par de nombreuses autres villes, comme Montréal ou Milan, ainsi que par le réseau de villes C40, associé pour lutter contre le réchauffement climatique.

Comme l’explique le chercheur en science politique Julien Giry, le concept de la ville du quart d’heure est arrivé dans l’imaginaire complotiste au moment de la crise du Covid-19. « Après les premiers confinements, il s’est développé un imaginaire global selon lequel encore une fois l’élite voulait réduire les libertés individuelles des citoyens, et parmi ces libertés il y avait la liberté de circulation. »

Progressivement adopté par les municipalités, le concept de la ville du quart d’heure est alors interprété comme faisant partie « d’une sorte de programme politique qui limiterait les déplacements et les contacts entre les gens, les possibilités de s’organiser, de résister au système ». Egalement promu par le Forum économique mondial, au cœur des préoccupations conspirationnistes, le concept devient pour les complotistes, « un instrument de contrôle et de maintien de l’ordre supplémentaire », explique Julien Giry. « C’est une sorte d’étape de plus dans l’avancement de ce grand plan du ''great reset'' [théorie complotiste populaire] pour avancer une sorte de dictature globale dans les populations. »

Un concept qui viserait à réduire l’usage de la voiture

De la même manière, la ville du quart d’heure est souvent associée dans les discours conspirationnistes aux autres mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, et donc l’utilisation de la voiture. La voiture électrique est par exemple souvent au cœur de fausses informations aux fondements conspirationnistes.

« C’est la même chose que pour le réchauffement climatique, il y a l’idée qu’il faudrait qu’on modifie nos formes de consommation, nos formes de déplacement », développe le chercheur en science politique. « Tout ça pour eux participe là aussi à une sorte de mouvement global pour réduire nos libertés, nous obliger à vivre dans un monde aseptisé, un monde qui ne serait plus "la vraie France". »

En France, une conspiration cantonnée aux réseaux

Au Royaume Uni, où les théories du complot autour de la ville de quinze minutes sont particulièrement prégnantes, ces paniques conspirationnistes se sont matérialisées à travers des mouvements sociaux concrets. En février 2023, à Oxford, plusieurs milliers de manifestants s’étaient rassemblés pour protester contre un projet de restreindre la circulation en voiture dans certains quartiers (Low Traffic Neighbourhoods), et la mise en place de filtres de circulation, associés au concept de la ville du quart d’heure.

Bien que le concept soit d’origine française, les théories du complot à son sujet se cantonnent pour le moment surtout aux réseaux sociaux dans l’Hexagone. « De manière générale, le conspirationnisme en France est surtout numérique », constate Julien Giry. « La traduction en action politique du conspirationnisme est relativement faible, de même que sur le plan politique lors des élections. »

Sujets liés