MUSIQUEY a-t-il un problème de néonazisme chez les festivaliers de metal ?

Néonazisme : Y a-t-il un problème chez les festivaliers de metal ?

MUSIQUELes critiques portant sur la présence de spectateurs arborant des signes néonazis ont agité les réseaux sociaux l'an passé. « 20 Minutes » a demandé à deux chercheurs fins connaisseurs du metal ce qu'ils en pensaient
Un concert sur l'une des deux principales scènes du Hellfest, lors de l'édition 2023.
Un concert sur l'une des deux principales scènes du Hellfest, lors de l'édition 2023. - F.Brenon/20Minutes / 20 Minutes
Frédéric Brenon

Frédéric Brenon

L'essentiel

  • Des photos de festivaliers portant des valknut, runes, soleil noir ou fleur de lys ont été très commentées lors du Hellfest 2023.
  • Interrogés par 20 Minutes, Gérôme Guibert et Corentin Charbonnier invitent à faire preuve de prudence avec l'analyse des symboles chez les fans de metal.
  • Ils rapportent, d'après leurs travaux, que les idées d'extrême droite seraient très minoritaires au sein de la communauté metal.

Les sympathisants néonazis sont-ils de plus en plus présents dans les festivals de metal ? Le débat a agité une partie de la communauté metalleuse ces derniers mois, en particulier lors du Hellfest 2023 où des photos ont tourné sur les réseaux sociaux. On y voit des festivaliers arborant des tatouages représentant des valknut, runes, soleil noir, fleur de lys ou croix celtiques. Des symboles aux origines diverses, souvent issus de la mythologie scandinave, repris comme signes de ralliement par l’extrême droite et les mouvements néonazis. Certains festivaliers y ont vu une « présence décomplexée de nazis » et se sont logiquement indignés, dans un contexte rendu sensible par la programmation critiquée de certains artistes accusés de racisme, à l’image du groupe polonais Mgla présent aux Motocultor 2019 et Hellfest 2022, ou de Phil Anselmo, habitué des festivals français. Alors que la grande exposition Metal, présentée depuis le 5 avril à la Philarmonie de Paris, aborde aussi le sujet, 20 Minutes a interrogé deux chercheurs spécialistes de la culture musicale, du metal en particulier.

« Quand on travaille comme sociologue, on se pose ces questions-là, explique Gérôme Guibert, sociologue en cultures populaires et professeur des universités à la Sorbonne nouvelle. Depuis le début de la culture metal, ce débat existe auprès des observateurs. La culture metal a toujours flirté avec des choses qui faisaient polémique, l’ambiguïté fait partie d’elle. Dans les années 1970, les punks portaient des croix gammées pour emmerder le système, à l’image des Sex Pistols et Siouxie and the Banshees. Lemmy [Kilmister] de Motörhead, qui est quand même une des icônes du metal aujourd’hui, affichait des totenkopf, des croix de guerre, des aigles de l’armée allemande sur ses blousons. Marylin Manson avait sur scène des draps rouges avec des éléments évoquant l’Allemagne des années 1940. Tous ont choqué mais ce n’était sûrement pas des Nazis, au contraire même. »

« Ils vont voir ces symboles et vont mal interpréter leur signification »

Pour le sociologue, l’analyse des symboles arborés par des artistes ou fans de la scène metal ne permet pas le premier degré. « Un symbole n’a presque jamais une signification absolue. Il faut tenir compte de sa relativité en fonction du contexte. Au fondement du metal il y a un intérêt pour l’heroïc fantasy et ses symboles antiques, médiévaux. La vague metal d’Europe du Nord dans les années 1990 a apporté son esthétique viking avec ses symboles nordiques. Et puis, bien sûr, il y a l’esthétique totalitaire et guerrière. Elle fait partie intégrante de la culture metal, de la même manière que l’esthétique antichrétien. C’est un imaginaire violent revendiqué pour supporter la dureté de la vie quotidienne. »

Corentin Charbonnier, docteur en anthropologie et passionné de metal, abonde. « On a plein de groupes de metal qui affichent des symboles issus des cultures nordiques. Et une partie de ces symboles-là ont, effectivement, été appropriés par l’Allemagne nazie puis par des mouvements fascistes. Porter un symbole de Thor ou d’Odin ne fait pas forcément de la personne qui le porte un néonazi. Je ne peux pas dire que ça n’existe pas, mais c’est très compliqué d’analyser les looks. »

Selon Gérôme Guibert, ce qui a changé ces dernières années, c’est la « visibilité médiatique » du metal et de certains de ses festivals. « Le Hellfest, c’est devenu énorme. Et il accueille plein de nouveaux spectateurs, des gens qui veulent voir ce que c’est mais qui ne connaissent pas réellement les codes. Ils vont voir ces symboles, vont mal interpréter leur signification et vont trouver ça grave, ce qui est bien normal quelque part. Il y a dix ans c’étaient des critiques de conservateurs, maintenant ce sont plus des critiques d’ultraprogressistes qui vont chercher des injustices. » « C’est une musique qui a toujours eu la volonté de choquer, qui a toujours été marginalisée. C’est en train de changer avec le succès du Hellfest, ce qui crée des incompréhensions », estime Corentin Charbonnier.

« Il y a moins de metalleux qui se déclarent du RN que dans le reste de la société »

Ce dernier a assisté à toutes les éditions du Hellfest depuis sa création. Il mène un travail statistique sur le profil du public depuis plusieurs années et a préparé, en parallèle, l'exposition parisienne Metal dont il est co-commissaire. « Que soit chez les artistes ou chez les festivaliers, il n’y a pas cette culture d’apologie du IIIe Reich. On n’est pas à l’abri d’avoir quelques personnes de ce milieu-là qui tentent d’assumer quelque chose, mais ce serait ultra-minoritaire. Ce que disent nos enquêtes c’est que le public de gauche est majoritaire. Moins de 3 % du public se disait plutôt d’extrême droite en 2019, un tiers sans opinion politique, 10 % à droite. J’ai fait des entretiens sur d’autres festivals, notamment le Motocultor, et il ressort la même tendance. Ça reste une musique très engagée à gauche, même si c’est sans doute moins vrai qu’il y a une trentaine d’années. »

« Statistiquement, on peut trouver de tout sur un rassemblement aussi gros que le Hellfest, complète Gérôme Guibert. Et ce n’est pas parce qu’il y a un ou deux mecs qui font un truc que ce tous les festivaliers font pareil. Ce qu’on sait, c’est qu’il y a moins de metalleux qui se déclarent du RN que dans le reste de la société. Et ce qui rassemble les metalleux sur un festival c’est avant tout l’amour de la musique metal et son environnement transgressif. Les questions politiques et religieuses, ce n’est pas leur sujet. Si des personnes commencent à faire du prosélytisme, très vite on va leur dire qu’elles ne sont pas les bienvenues. On ne peut pas dire la même chose partout, dans le punk ou dans le reggae, par exemple. »

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« J’ai du mal à croire qu’on soit envahi du jour au lendemain par des groupuscules d'extrême droite, en tout cas ce n’est pas ce qu’on observe, insiste Corentin Charbonnier. Si on en parle beaucoup c’est aussi parce qu’on a une cristallisation de la société avec un phénomène de dénonciation via les réseaux sociaux. Les metalleux sont très connectés. Quel que soit le souci, ça pose la question du tribunal social. »

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