Houle qui gagneRéparer, encore et encore... Saint-Malo face au casse-tête des tempêtes

« Pas certain que le bâtiment soit encore là dans dix ans »... Saint-Malo et le casse-tête de la gestion des tempêtes

Houle qui gagneDes travaux de renforcement de la digue protégeant les bâtiments historiques du Sillon sont en cours pour réparer les dégâts
Lors du passage de la tempête Pierrick, des vagues énormes sont venues s'écraser sur le littoral de Saint-Malo. Un spectacle impressionnant qui rappelle la fragilité des constructions face aux éléments.
Lors du passage de la tempête Pierrick, des vagues énormes sont venues s'écraser sur le littoral de Saint-Malo. Un spectacle impressionnant qui rappelle la fragilité des constructions face aux éléments. - M. Rivrin/Solent News/Sipa / SIPA
Camille Allain

Camille Allain

L'essentiel

  • A Saint-Malo, environ 25.000 personnes vivent sous le niveau de la mer et sont protégées par une digue de 2,8 kilomètres de long.
  • Régulièrement endommagé par les tempêtes, l’ouvrage doit être réparé et conforté pour ne pas céder.
  • Face à la violence des éléments, les collectivités tentent de se protéger, sans savoir combien de temps la digue tiendra.

A chaque tempête en approche, le même cérémonial se répète. A l’abri de la pluie, ils préparent leurs bottes et leur ciré avec pour seule idée de s’approcher au plus près des énormes vagues qui viennent se fracasser sur le remblai de Saint-Malo. Au péril de leur vie et de celles des personnes qui pourraient venir les secourir. Dans la cité corsaire, les grosses tempêtes ont toujours provoqué l’émerveillement des locaux, mi-amusés mi-effrayés de voir la mer s’envoyer ainsi en l’air au contact du littoral.

L’apparition des téléphones portables et des réseaux sociaux a cependant accentué les comportements dangereux, de nombreuses personnes n’hésitant pas à s’approcher au plus près du remblai, pourtant noyé sous les eaux. Dans le seul but de saisir l’instant en vidéo et d’épater la galerie. « Certains y posent leurs enfants, juste pour une photo. J’ai même vu une poussette posée là, une fois », lance, désabusé, un agent de la ville en montrant un accès à la grande plage du Sillon. La police municipale veille mais ne verbalise pas. « Certains m’ont demandé de le faire », reconnaît le maire Gilles Lurton. « C’est difficile pour moi, on touche à la liberté. Mais parfois, il faudrait sans doute faire preuve de plus d’autorité. »

La digue est surveillée de très près

Le phénomène a beau être de plus en plus prégnant, il n’est pas celui qui inquiète le plus l’élu Les Républicains. « On préfère se concentrer sur l’état de notre digue », glisse Gilles Lurton, dans un sourire. Ce jeudi, il s’exprimait avec la casquette du président de l’agglomération pour mettre en valeur les travaux de réfection de la digue de 2,8 kilomètres de long qui soutient et protège la brasserie du Sillon. Située en front de mer, la vieille bâtisse est régulièrement frappée par la houle lors des grandes marées. « On arrive à rester ouverts. Par contre, on ferme les volets pour éviter les projections de galets ou de morceaux de bois », témoigne un membre du staff du restaurant panoramique.

Sous la brasserie du Sillon, le béton injecté en urgence pour renforcer la digue est remplacé par des pavés en granit. Moins solides, mais plus esthétiques.
Sous la brasserie du Sillon, le béton injecté en urgence pour renforcer la digue est remplacé par des pavés en granit. Moins solides, mais plus esthétiques.  - C. Allain/20 Minutes

Lors du passage de la tempête Karlotta en février, l’établissement avait pourtant dû être évacué et était resté fermé deux jours et demi. « La houle était particulièrement violente. Mais tant que la marée était haute, on n’avait rien remarqué, c’est quand la mer s’est retirée qu’on a compris », raconte David Poncet, responsable de la Gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi). Sur le sable de la plage du Sillon, les agents avaient découvert les pavés, arrachés par la force de la mer.

Une entreprise était intervenue en urgence pour injecter du béton partout où la pierre avait été enlevée. « Si on avait laissé comme ça, on aurait peut-être dit au revoir aux bâtiments », reconnaît le responsable Gemapi. Ce pansement est en train d’être retiré par des salariés d’Eiffage, qui le remplacent petit à petit par des pavés en granit français. « On pourrait bien mettre du béton moulé, ce serait plus solide. Mais je ne suis pas sûr que l’architecte des Bâtiments de France serait d’accord », glisse David Poncet.

Dans la cité corsaire, l’équilibre entre préservation du patrimoine et protection du littoral n’est pas toujours simple à trouver. Ici, quelque 25.000 habitants vivent sous le niveau de la mer. Et près de 130.000 au total sont potentiellement menacés, d’autant plus fortement que le réchauffement climatique devrait accroître la violence des phénomènes. Ici, les avis sont partagés sur l’évolution de l’intensité des tempêtes et l’érosion. « Je ne sais pas s’il y en a plus souvent. Ce qui est sûr, c’est qu’on a eu une énorme tempête en plein mois d’août l’année dernière et ça, c’est inhabituel. Surtout que je peux vous dire que ça a bien tapé ! Tous les touristes étaient là à regarder », se souvient le responsable de la brasserie du Sillon.

Au pied de son restaurant, la collectivité dépensera 170.000 euros en deux ans pour tout réparer. La ville devra également sortir un million d’euros pour refaire la cale de la Rochebonne, dont les pavés ont aussi été arrachés par la mer. Combien de temps les collectivités vont-elles accepter de payer pour nourrir l’océan avec du granit qu’elles ont payé une blinde ? « C’est sûr que ça nous inquiète. On a vu des bancs, des lampadaires être arrachés. Même un brise-lames. Vous imaginez s’il tombait sur quelqu’un ? Il y a un réel danger pour la population », rappelle Gilles Lurton.

Pas sûr d’être là « dans dix ou vingt ans »

Y a-t-il un risque, aussi, de voir les bâtiments finir à la mer ? « Le niveau des mers augmente plus vite que les prévisions, alors oui, le risque est là. Pour l’instant, on arrive à réparer », se félicite le maire. « Je ne suis pas certain que le bâtiment soit encore là dans dix ou vingt ans. Je l’espère, mais je n’en suis pas sûr », tempère le responsable de la brasserie du Sillon. De l’autre côté de la plage, des fissures importantes sont apparues à la Caravelle, autre adresse emblématique de la ville. « On ne peut rien faire d’autre que de surveiller », reconnaît David Poncet.

La brasserie du Sillon va-t-elle un jour disparaître ? A Saint-Malo, les tempêtes menacent les bâtiments les plus avancés sur la mer.
La brasserie du Sillon va-t-elle un jour disparaître ? A Saint-Malo, les tempêtes menacent les bâtiments les plus avancés sur la mer.  - C. Allain/20 Minutes

Face à la puissance des éléments, les hommes n’ont pas mille autres solutions que de réparer, consolider et espérer. A Saint-Malo, l’utilisation des brise-lames est depuis longtemps répandue. Une partie, fatiguée, vient d’être remplacée. Mais cette option n’est pas possible partout, notamment en raison de la trop faible épaisseur du sable.