Reportage« Comme un drogué »… A Bondy, le sevrage nécessaire des enfants accros aux écrans

« Ils sont dans un autre monde et il faut essayer de les en sortir »… A Bondy, des enfants sevrés des écrans

ReportageDepuis 2019, la pédiatre Sylvie Dieu Osika accueille chaque lundi matin des familles inquiètes des comportements anormaux de leurs enfants. Tous ont un point commun : ils sont accros aux écrans
Les enfants sont de plus en plus touchés par l'utilisation des écrans. Image d'illustration.
Les enfants sont de plus en plus touchés par l'utilisation des écrans. Image d'illustration. - Mary Smith /  de Getty Images/Canva
Lina Fourneau

Lina Fourneau

L'essentiel

  • A l’hôpital Jean-Verdier de Bondy, la pédiatre Sylvie Dieu Osika a mis en place un dispositif pour alerter les parents sur les comportements anormaux des enfants liés aux écrans.
  • Ce lundi matin, trois enfants sont passés en consultation. Tous ont utilisé les écrans dès leurs premiers mois et en subissent aujourd’hui les effets. Certains ne parlent pas à 3 ans, d’autres semblent avoir la tête ailleurs.
  • A la suite de la première consultation, un sevrage est fortement recommandé. L’enfant doit se couper des écrans avant un deuxième et dernier rendez-vous quatre mois plus tard pour faire le bilan.

Il est 10 heures passées, ce lundi matin, lorsque la pédiatre Sylvie Dieu Osika tente de nous expliquer le dispositif anti-écrans mis en place au sein de l’hôpital Jean-Verdier de Bondy et ce malgré les cris stridents d’un enfant dans le couloir. « Ça pourrait être un enfant écran quand ils arrivent fâchés comme ça », remarque-t-elle. Il s’agit en effet d’Ayline*, une petite fille de 2 ans et 3 mois, qui vient pour une première consultation auprès de la pédiatre.

Chaque semaine depuis 2019, le docteur Sylvie Dieu Osika consacre une matinée à la prévention et à la compréhension de la problématique des écrans afin d’alerter les parents quant aux comportements anormaux de leurs enfants. Faute de moyens, le dispositif n’est désormais plus accessible qu’aux moins de 4 ans, contre 11 auparavant. L’âge n’est pas anodin, les trois premières années sont les plus importantes dans le développement de l’enfant qui, selon les experts, doit rester éloigné des écrans à cet âge-là.

Pourtant, ces dernières années, le collectif « Surexposition écrans », le Cose – auquel le Docteur Sylvie Dieu Osika appartient – a remarqué un changement de comportement chez les plus jeunes. Parmi les symptômes, « des enfants qui ne parlent pas à 3 ans, qui ne vous regardent pas, qui ne s’intéressent pas, qui ont des troubles de la frustration, des troubles de la concentration et qui ne savent pas gérer leurs émotions ». La plupart ne se calment, dînent ou dorment qu’en présence d’un écran. Ils adoptent même un nouveau langage, appelé le « YouTube Lish », qui leur fait répéter des mots, des alphabets ou des comptines dans de nombreuses langues, sans jamais les comprendre. Sur les plateformes comme YouTube, les algorithmes y sont ici pour beaucoup. On parle de « captologie », l’art d’engloutir parents et enfants dans des design alléchants, augmentant considérablement le temps d’écran.

Après la crise, le calme grâce aux écrans

A leur arrivée au service de pédiatrie, ce lundi, les parents répondent à deux questionnaires. Le premier pour comprendre les habitudes de l’enfant face aux écrans, mais aussi celles des parents. Le deuxième – le test de « Qchat » – pour évaluer les enfants sur le plan clinique. Plus le score est élevé, plus l’enfant est en difficulté et à partir de 30, on peut considérer qu’il existe un problème chez l’enfant.

Nous l’apprendrons à la fin de la matinée mais la toute jeune Ayline* qui vient de rentrer dans le bureau du Docteur Sylvie Dieu Osika obtient un score de 61. Pendant la séance, ses cris et ses larmes ne s’arrêteront pas. Exception faite du moment où, pour tenter de la calmer, la pédiatre demandera au père de lui montrer une vidéo sur le téléphone. Le calme est de courte durée, il faut lui retirer le téléphone car Ayline doit s’éloigner des écrans.

« Une semaine de l’enfer… comme pour un drogué »

Lors de cette première consultation, la pédiatre cherche à comprendre s’il y a d’autres troubles. Ayline regarde-t-elle dans les yeux ? Faisait-elle des sourires quand elle était bébé ? « Oui », assurent les parents, un peu inquiets mais à l’écoute. Les conditions sociales sont aussi questionnées. On parle des déménagements, de la famille en Turquie qui est loin… Tout ce qui pourrait avoir une conséquence sur l’attitude de l’enfant. Mais ici, il n’y a pas l’ombre d’un doute : l’écran a bien touché le comportement d’Ayline. Preuve en est sur le carnet de santé où un premier signalement avait été effectué dès son quatrième mois. Mais le risque des écrans a-t-il été assez explicité aux parents ?, se demande constamment la pédiatre.

Car c’est seulement un an plus tard que les premières inquiétudes apparaissent réellement. Le soir, elle ne s’endort qu’avec une tablette connectée à YouTube Kid et a souvent des crises de larmes. Depuis quatre mois, les parents tentent de diminuer la connexion. De huit à neuf heures auparavant, l’enfant n’a le droit qu’à trois à quatre heures passées sur les écrans. Ils sont désormais prêts au sevrage. « C’est facile à dire, mais difficile à faire », prévient la pédiatre qui recommande de la sortir le plus possible à l’extérieur pour se dépenser. « On voit une enfant qui ne parle pas, qui a du mal à gérer ses émotions. Il y a de la détresse malgré la bonne volonté des parents. Ça va sûrement être une semaine de l’enfer pendant le sevrage, comme pour un drogué », nous raconte la pédiatre à la fin du rendez-vous.

Petite chorégraphie le jour et chanson la nuit

Mais pas le temps de souffler, et la deuxième enfant s’apprête à rentrer dans la chambre 8 qui fait office de cabinet. Elle s’appelle Awa* et a 3 ans et 4 mois. Comme la petite fille précédente, elle vient pour la première fois, mais son sevrage a déjà commencé depuis septembre. Depuis ses six mois, Awa* utilise les écrans pour regarder des comptines sur la télévision. Pourtant, sa mère l’assure, elle n’est pas du tout accro et utilise les réseaux sociaux seulement quatre à cinq heures par semaine. « Mais le papa, c’est non-stop. »

L’électrochoc a lieu lorsque Awa est entrée à l’école, en septembre dernier. « Ça a été catastrophique. Elle avait du mal à s’adapter », se souvient la mère très vite interrogée par l’école sur le temps passé devant les écrans. Depuis, la petite fille a démarré un sevrage. Si la télévision a été facile à retirer, les téléphones et tablette sont plus complexes à éloigner de l’enfant. Mais des comportements lui restent de ce qu’elle voyait auparavant sur les écrans. Au milieu du cabinet, Awa va par exemple effectuer une petite chorégraphie sans s’en rendre compte. Il en est de même à la maison. La nuit, pendant son sommeil, la petite fille chantonne des musiques entendues sur YouTube pendant trois heures. « C’est comme si l’enfant était dans un autre monde et qu’il fallait l’en sortir », souligne la pédiatre.

Si l’enfant de trois ans obtenait un score de 64 au test de Qchat au mois de septembre, les effets positifs du sevrage finissent par se voir. Awa commence à dire quelques petits mots et est plus observatrice, selon sa mère. Sa professeure d’école l’a aussi remarqué. « Elle a confiance ». Pour la pédiatre, tout n’est pas perdu, mais « deux ans avec beaucoup d’écrans c’est quand même deux ans avec moins d’acquis », prévient le docteur Sylvie Dieu Osika. La mère sort de la pièce enthousiaste avec, dans la poussette, la petite sœur d’Awa. « On n’est pas forcément sensibilisé aux écrans en tant que parents », regrette-t-elle, avant d’assurer ne pas reproduire les mêmes erreurs avec sa deuxième fille.

Après le sevrage, des effets mais l’air toujours ahuri

Le troisième et dernier patient de la journée est lui aussi en plein sevrage, c’est son deuxième rendez-vous. Tom*, 3 ans et 3 mois, ne parle pas et garde un air ahuri. Son orthophoniste lui a diagnostiqué un retard important et des troubles du comportement. Si de potentiels troubles autistiques se dessinent pour cet enfant, l’écran – qu’il a commencé à regarder à 1 an – a une incidence sur son développement.

En novembre, pendant la première rencontre, il obtenait le score de 49 au Qchat. « Il connaissait tout YouTube, savait où taper. Il utilisait les écrans pour manger », raconte le père. La mère, elle, assure ne plus utiliser autant son téléphone qu’avant. Le diagnostic montrait qu’elle en était aussi accro. « On le cache sous le manteau désormais », avouent les parents. Pour la pédiatre, la technoférence est un élément clé : « C’est l’utilisation de l’écran par l’adulte responsable de l’enfant en la présence de l’enfant ». Le mot d’ordre : être le plus disponible possible pour l’enfant.

Pour Tom, le sevrage semble tout de même marcher. « Il faut poursuivre le cheminement. Il faut tenir bon car de toute façon, les écrans, ça ne sera jamais bon pour lui, avance le pédiatre aux parents. Faites attention jusqu’à l’âge de 6 ans, il faut continuer à le stimuler, essayer de l’en sortir ». C’est le deuxième et ultime rendez-vous pour le petit garçon. Sur le pas de la porte, la pédiatre adresse un dernier au revoir aux parents plus rassurés. Le petit garçon lui ne prononcera aucun mot, aucune émotion ne se dessinera sur son visage.

*Les prénoms des enfants ont été changés.

En Suisse, une clinique dédiée aux jeunes adultes

Dans les médias, elle a été présentée comme la première clinique pour les accros à TikTok. Le terme est un peu grossier. A Thoune, dans le canton de Bern, la clinique de Meiringen soigne ici les jeunes adultes de 18 à 25 ans qui souffrent aussi bien de dépression, d’anxiété ou de schizophrénie. Mais comme à Bondy, le constat reste le même : un changement s’est opéré ces dernières années sur les plus jeunes à cause des écrans. « Nous avons remarqué que de plus en plus de jeunes passaient de très longues heures sur leur téléphone portable, parfois 10 heures par jour. Il existe un terme : l’utilisation pathologique d’internet (PUI) », avance le psychiatre et chef de la clinique, Stephan Kupferschmid.

Parmi les trente patients du service, certains ne dorment plus de peur de louper un contenu sur les réseaux sociaux, d’autres ont développé des troubles de l’alimentation. Ils se sentent tristes, parfois seuls. « Je pense qu’il est très important que les jeunes puissent acquérir des compétences dans l’utilisation des médias sociaux et d’Internet, qu’ils soient conscients de la manière dont les algorithmes tentent de les influencer et qu’ils comprennent les risques liés à l’utilisation de ces applications », espère le psychiatre qui souligne ici la présence « d’une addiction sans substance »… comme les jeux d’argent.

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