c’est chelouLe syndrome d’auto-brasserie, ou comment être ivre sans boire d’alcool

Etre ivre sans boire d’alcool : Qu’est-ce que le syndrome de fermentation intestinale ou d’auto-brasserie ?

c’est chelouLe système digestif des personnes souffrant de ce syndrome produit de manière endogène de l’éthanol lorsqu’elles ingèrent des aliments à haute teneur en glucides, comme le pain ou les pâtes
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les malades produisent naturellement de l'alcool lorsqu'ils consomment des sucres lents.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les malades produisent naturellement de l'alcool lorsqu'ils consomment des sucres lents. - Wavebreakmedia/Getty Images / Canva
Lise Abou Mansour

Lise Abou Mansour

L'essentiel

  • Poursuivi pour conduite en état d’ivresse en récidive, un Belge de 40 ans a été relaxé lundi après avoir prouvé qu’il souffrait d’un syndrome extrêmement rare, le syndrome d’autofermentation alcoolique.
  • Le système digestif des personnes touchées par ce syndrome produit de manière endogène de l’éthanol pendant l’ingestion d’aliments à haute teneur en glucides, comme le pain ou les pâtes.
  • « Trois choses doivent être réunies pour que l’alcool se produise, il faut trop de sucre, trop de levure et une maladie préexistante », explique Laurent Beaugerie, professeur en gastro-entérologie à l’hôpital Saint-Antoine.

«Non, je n’ai pas bu une seule goutte d’alcool, promis ! » Cette phrase, balancée aux gendarmes contrôlant l’alcoolémie des conducteurs, sent souvent le mytho. Mais pas chez ce Belge de 40 ans. Poursuivi pour conduite en état d’ivresse en récidive, il a été relaxé lundi après avoir prouvé qu’il souffrait d’une pathologie extrêmement rare : le syndrome d’autofermentation alcoolique.

Connu sous le nom de syndrome de fermentation intestinale ou d’auto-brasserie, il ne toucherait qu’une poignée de personnes à travers le monde. Chez ces malades, le système digestif produit de manière endogène de l’éthanol lorsqu’ils ingèrent des aliments à haute teneur en glucides comme le pain, les pâtes ou les pommes de terre. Comment expliquer ce syndrome ? Quelles sont ses conséquences et surtout, peut-on le soigner ? On vous dit tout.

Comment expliquer ce syndrome ?

« Trois choses doivent être réunies pour que l’alcool se produise, explique Laurent Beaugerie, professeur en gastro-entérologie à l’hôpital Saint-Antoine. Il faut trop de sucre, trop de levures et une maladie préexistante. » La fermentation du sucre en alcool se fait par l’intermédiaire de levures. Si tout le monde en a dans son microbiote intestinal, chez les personnes atteintes d’auto-brasserie, deux levures sont présentes en trop grand nombre. « Les levures en cause sont le candida albicans et le saccharomyces cerevisiae, qu’on appelle aussi levure de boulanger. » En cause, certaines maladies digestives ou un déséquilibre de la flore intestinale.

La partie droite du gros intestin dans laquelle se produit la fermentation alcoolique ne reçoit normalement que très peu de sucre. Mais chez les personnes atteintes du syndrome d’auto-brasserie, les sucres qui normalement sont digérés dans l’intestin grêle arrivent en nombre dans cette fameuse partie droite du colon. « Cela arrive soit parce que les personnes ont mangé des quantités énormes de sucre, soit parce qu’il y a un court-circuit car on les a opérées de l’intestin, par exemple. »

Trop de sucre et trop de levures dans la partie droite du gros intestin peuvent donc exceptionnellement produire de l’alcool. « Une personne avec un intestin normal ne fera pas d’auto-brasserie, précise toutefois Laurent Beaugerie. Il faut soit un intestin raccourci soit un intestin qui ne se contracte pas assez bien. » C’est notamment le cas de patients atteints de la maladie de Crohn et de certaines formes sévères de diabète.

Quelles sont ses conséquences ?

Si la personne souffrant du syndrome d’auto-brasserie n’a pas ingéré une seule goutte d’alcool, son état est pourtant semblable à celui d’une personne ivre. Quand le taux d’alcool reste faible, une petite sensation d’ébriété, des maux de tête, des nausées et de la fatigue peuvent se faire ressentir. Mais en fonction de la quantité de glucides consommée, ce taux peut grimper et donner lieu à des troubles de la parole, une confusion, voire à une gueule de bois le lendemain. Un taux régulièrement élevé pourrait même conduire, à terme, à un risque de cirrhose, d’hypertension artérielle, de cancers ou d’hépatite. Cela peut aussi engendrer d’importants problèmes sociaux, de comportement, comme de la violence ou des accidents de voiture.

Peut-on le soigner ?

Si on ne peut jouer sur un intestin grêle raccourci ou un by-pass chez des personnes obèses, on peut en revanche diminuer son apport en sucre. « On peut mettre ces patients en régime enrichi en protéine et appauvri en glucides lents, les glucides rapides étant très rapidement absorbés et ne restant pas longtemps dans l’intestin », souligne le professeur.

Les personnes touchées par le syndrome de fermentation intestinale peuvent tenter de réduire le nombre de levures en cause présentes dans leur microbiote. « La prise d’antifongiques peut aider mais on ne peut pas les prendre pendant des mois. » Selon le professeur, l’approche théoriquement la plus prometteuse serait de prendre des probiotiques intelligents. « Prescrire des bons probiotiques, comme des lactobacilles, permettant de diminuer le nombre de levures pathologiques dans le microbiote pourrait permettre de corriger le syndrome d’auto-brasserie », conclut le médecin.

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