20 Minutes Avec« On ne perd jamais quand on choisit de lutter » déclare Corinne Masiero

« On ne perd jamais quand on choisit de lutter » déclare Corinne Masiero

20 Minutes AvecCorinne Masiero a profité de la promotion du touchant « Petites mains », film galvanisant sur le combat de femmes de chambres de palace en salles le 1er mai, pour se confier à « 20 Minutes »
Corinne Masiero à Paris le 16 avril 2024.
Corinne Masiero à Paris le 16 avril 2024. - Caroline Vié / 20 Minutes
Caroline Vié

Caroline Vié

L'essentiel

  • Dans « Petites Mains » en salles le 1er mai, elle incarne une femme de chambre vieillissante qui lutte pour ses droits.
  • Corinne Masiero est une comédienne et une citoyenne engagée.
  • Elle est prête à se battre pour ses valeurs comme pour le téléfilm qu’elle vient de réaliser.

Corinne Masiero a son franc-parler ce qui ne l’empêche pas de passer à l’acte quand il le faut. Sa prise de parole aux César 2021 où elle est arrivée nue et couverte de sang sur scène comme ses choix de carrière et ses engagements ont montré que cette femme a autant de courage que de convictions. Dans Petites Mains de Nessim Chikhaoui au cinéma le 1er mai, elle incarne une femme de chambre de palace usée par le travail et la vie. Un rôle parfait quand elle finit par soutenir une jeune recrue tandis que ses collègues s’organisent pour faire valoir leurs droits. « Corinne était faite pour ce personnage et l’inverse est aussi vrai, confie le réalisateur. Elle a une grande gueule, un grand cœur et un sacré charisme. Elle est libre. » Cet entretien, où le tutoiement était de rigueur, a confirmé cette déclaration.

Te considères-tu comme une personne engagée ?

Tout le monde est engagé ! Ne pas l’être est aussi une forme d’engagement. Chacun fait comme il veut et surtout comme il peut. J’ai été contente qu’on me propose Petites Mains car ce film correspond aux valeurs que j’ai envie de défendre. C’était un cadeau de pouvoir parler de lutte dans un film grand public et un cadeau aussi de me voir confier un personnage éloigné de ce qu’on me propose d’habitude.

Comment les réalisateurs te voient-ils habituellement ?

Comme une spécialiste de la rigolade et du « tagada tsoin tsoin ». Note que j’adore le « tagaga tsoin tsoin ». Je ne me plains pas d’en faire mais c’est quand même sympa de pouvoir changer de registre en montrant qu’on peut aussi composer d’autres types de rôles. C’est fou comme le cinéma français manque d’imagination. Les gens sont craintifs, refusant la moindre prise de risque. Je viens de me lancer pour la première fois dans la réalisation d’un téléfilm baptisé pour l’instant Un Château en Espagne. Il fallait voir la tête du directeur de casting quand je lui ai réclamé des « gueules » pour jouer dedans. Les interprètes qu’il m’a proposés étaient lisses comme du fromage blanc. Il a fallu que j’insiste pour obtenir gain de cause.

Comment expliques-tu cette frilosité ?

Comme partout, le pouvoir est détenu par une poignée de gars qui viennent du même milieu et qui ont les mêmes valeurs. Les gens qui ne correspondent pas à leur modèle n’existent pas pour eux. Il faut donc les secouer pour imposer le droit d’être représenté. C’est aussi valable pour les femmes ! Le plus délirant est que, si ça marche, ils disent : « Ah c’était chouette : on aurait dû y penser avant ». Puis ils essayent de reproduire encore et toujours la recette qui a réussi. C’est un mélange de crainte et de paresse.

Etait-il facile de trouver ta place dans tout ça ?

La télé a changé mon compte bancaire tout autant que ma vie. Je me demande encore comment j’y suis parvenue. La télévision m’a fait connaître, ce qui me permet de donner de la voix. Je me sers de ma notoriété pour me faire entendre et défendre mes idées. Je crois que les gens me voient comme une emmerdeuse qu’ils aiment bien même si elle leur tape parfois sur les nerfs. Il y a aussi des gens qui me détestent, et ça me va. Je ne voudrais pas être consensuelle.

Tu te vois comment ?

Je n’ai rien d’une star, ni d’une icône. Je ne représente que moi-même. J’estime être quelqu’un d’ouvert et que les rencontres que je fais me permettent de m’améliorer humainement. J’espère être capable de me remettre régulièrement en question comme comédienne et comme citoyenne. J’admire les gens qui ont le sens de l’autodérision car j’en suis incapable. Je suis trop orgueilleuse et nombriliste pour rire de moi-même. Remarque, je ne serais sans doute pas actrice si je n’avais pas ces deux défauts ! J’ai appris à faire avec.

Ta prestation aux César ne montre-t-elle pas que tu as de l’humour ?

Je ne voulais pas laisser passer une chance pareille de m’exprimer mais je n’en menais pas large dans ma loge. Ce genre de happening est ce qu’on appelle une « action » chez les intermittents du spectacle. Quand tu fais ce genre de chose, tu y vas à plusieurs, comme quand les femmes de chambres manifestent dans Petites Mains. On se soutient les uns les autres, ce qui aide beaucoup. Là, j’étais toute seule car je ne voulais mettre personne dans la merde. J’ai passé des heures à douter avant d’y aller. C’est dur de choisir de lutter, d’ouvrir sa gueule. Le sujet de Petites Mains m’a touchée parce que le film parle aussi de ça, de la peur d’agir. Et du moment où l’on décide d’y aller.

Tu regrettes de l’avoir fait ?

J’aurais encore plus regretté de rater cette occasion. Je pensais qu’on allait me sortir de force. Je m’attends toujours au pire. Comme ça, je ne suis pas déçue. Je croyais aussi qu’on allait me pulvériser après, me reprocher de faire des « trucs de wokiste à deux balles », mais pas du tout. J’ai reçu beaucoup de réactions bienveillantes. Il faut toujours prendre des risques et ne pas se laisser autoparalyser par la peur que la société essaye de nous enfoncer dans la tête. En fait, je n’avais pas vraiment le choix. Le lendemain, je retournais voir des artistes qui occupaient un théâtre à Lille. Je ne me voyais pas leur dire que je n’avais pas profité d’une aussi belle tribune. Cela n’aurait eu aucun sens. Il fallait que mes actes soient cohérents avec mes paroles.

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Tu crois que ça a servi à quelque chose ?

Le bordel qu’on met n’est jamais inutile ! Il pointe du doigt des problèmes que les gens n’auraient pas remarqués autrement. Après, ils en font ce qu’ils veulent mais ils ne peuvent plus dire qu’ils n’étaient pas au courant. C’est important de se battre. Même si on n’obtient pas ce qu’on demande, on est gagnant à partir du moment où on se révolte. On ne perd jamais quand on choisit de lutter. Les jeunes commencent à le comprendre et à ne plus se laisser faire. Je croise beaucoup de gens entre 16 et 35 ans dans les manifs. Ils sont prêts à défendre ce qu’ils croient juste, de l’écologie aux droits des femmes. Ça pousse à l’optimisme.

Tu trouves que ça bouge pour les femmes ?

On part de tellement loin dans tous les domaines qu’il y a encore du boulot. Là encore, il faut crier pour se faire entendre ! Il faut déranger, comme je le fais avec mon groupe Les Vaginites, de la musique qui pique et qui gratte. Les femmes ouvrent leur gueule, et ça leur coûte souvent très cher. Ça me rend dingue quand j’entends dire qu’elles cherchent la notoriété quand elles parlent. Cette idée à la con a la vie dure. Elle permet à certains mecs de continuer à dormir la nuit, mais le processus est enclenché : on va continuer à les secouer. Plus question de revenir en arrière dans le milieu du cinéma comme ailleurs. Je sais ce que c’est que d’être invisible comme les femmes de Petites Mains. Ce temps-là est bien fini, je veux qu’on me voie pour aider les autres à être vues.

Comment vois-tu ton avenir ?

Je ne veux pas être la personne la plus riche du cimetière alors j’utilise mon argent pour acheter des lieux où on peut vivre à plusieurs. On essaye de trouver de nouvelles façons d’exister et de créer dans le cadre artistique et dans les actions citoyennes. Je continue de me battre tous le temps. Là, je me bagarre pour garder le contrôle sur mon téléfilm. Ils m’ont engagée en sachant qui j’étais et veulent me contrôler. Je ne vais pas me laisser faire même si je sais que tout peut s’arrêter demain. Je préfère que mon film ne soit pas diffusé plutôt que de me laisser formater. Je suis entrée dans le monde de la télé comme un cheval de Troie, une petite souris qui s’est transformée en éléphant. Ça va être dur de me virer maintenant.