on s’interrogeDans l’affaire Kendji Girac, pourquoi le procureur a-t-il été si bavard ?

Kendji Girac blessé par balle : Mais pourquoi le procureur a-t-il été aussi bavard ?

on s’interrogeJeudi, la prise de parole du procureur de Mont-de-Marsan dans l’affaire du chanteur à succès a été particulièrement longue et détaillée. Comment expliquer qu’il ait été aussi prolixe pour finalement conclure à une tentative de suicide ?
Le procureur de la République Olivier Janson a tenu une conférence de presse hors normes ce jeudi, sur l'affaire Kendji Girac.
Le procureur de la République Olivier Janson a tenu une conférence de presse hors normes ce jeudi, sur l'affaire Kendji Girac.  - GAIZKA IROZ  / AFP
Elsa Provenzano

Elsa Provenzano

L'essentiel

  • Le procureur Olivier Janson a donné une conférence de presse inhabituelle ce jeudi dans l'affaire Kendji Girac, dévoilant des détails intimes sur la vie privée du chanteur blessé par balle. Un flot d'informations que ses managers ont regretté.
  • D’après l’avocat Emmanuel Pierrat, le procureur a agi comme un juge pour enfants en donnant des détails personnels plutôt que de rester cantonné aux faits, n’ayant pas mesuré l’impact de ses propos.
  • Le procureur aurait voulu combler le silence des quatre premiers jours, justifier le travail d’enquête accompli et éviter la propagation de rumeurs, mais il a dévoilé beaucoup d’éléments de la vie privée du couple, qui ne s’y attendait probablement pas.

Pendant près d’1h15 jeudi, Olivier Janson, procureur de la République de Mont-de-Marsan, a parlé. Parlé pour égrainer les détails de l’enquête ouverte pour tentative d’homicide volontaire après la blessure par balle du chanteur de 27 ans Kendji Girac, le 22 avril sur une aire de grand passage des gens du voyage, à Biscarrosse. Le tout pour finalement laisser penser qu’un classement sans suite va intervenir, la thèse d’une tentative de suicide - simulée ou non - étant retenue.

Comment expliquer cette intervention hors normes ? Elle a fait réagir les managers de l'artiste qui, dans un communiqué transmis à l’AFP, ont « regretté », que le magistrat « ait cru bon de divulguer l’intimité de la vie privée et familiale de Kendji Girac, qui est un homme discret et réservé par nature, et ce sans nécessité au regard de l’enquête en cours ». Le chanteur Vianney a aussi réagi sur X, y voyant du pain béni pour la presse people.

Emmanuel Pierrat, avocat au barreau de Paris, spécialiste de la propriété intellectuelle et auteur de Stars à la barre, publié en 2019, revient pour 20 Minutes sur cette prise de parole qu’il juge « lunaire » et « ahurissante ». Pour lui, « (le procureur) n’a pas mesuré le retentissement de ses propos ».

Un discours maladroit, en écho à son passé de juge pour enfants ?

« Il a été juge pour enfants pendant de nombreuses années, donc il n’est pas parquetier de formation, ce qui n’enlève rien à ses qualités professionnelles, estime maître Emmanuel Pierrat. Mais c’est vraiment très neuf que les procureurs aient le droit de faire des conférences de presse, et si les nouveaux magistrats y sont formés, ce n’est pas le cas d’Olivier Janson ». Ce dernier est procureur à Mont-de-Marsan depuis 2017 mais a été peu exposé à des affaires aussi retentissantes que celle de Kendji Girac.

Le juge pour enfants, qui officie à huis clos, est chargé de juger les mineurs et de trouver des solutions à des failles pédagogiques. Et en s’attardant sur des considérations personnelles, comme les problématiques d’alcool du chanteur, plutôt qu’en se cantonnant aux faits, le procureur a agi à la manière d’un juge pour enfants, selon maître Emmanuel Pierrat. « Mais là, on est face à un chanteur de 27 ans avec une femme adulte, ce ne sont pas des gamins de 12 ans ! », s’insurge-t-il.

Lors de sa conférence de presse, Olivier Janson a précisé qu’il avait l’accord de Kendji et de sa compagne pour s’exprimer. Une façon de « se couvrir » pour maître Emmanuel Pierrat. « Ils finissent par donner plein de détails sur ce qui leur est arrivé, pour expliquer que ce n’est pas un homicide et qu’il n’y a pas de violences conjugales, estime l’avocat. Mais en même temps, il brosse un tableau de leur vie privée que l’on ne connaissait pas. » Le couple ne s’attendait sans doute pas à un exposé aussi détaillé sur sa vie, comme le montre la réaction des managers du chanteur. « Nous, journalistes membres de l'association de la presse judiciaire, ne ralerons jamais de voir un procureur s'exprimer, a fait valoir auprès de 20 Minutes l'association. Et les procureurs sont libres de s'exprimer comme ils l'entendent ».

Faire taire les rumeurs et montrer le travail accompli

Près de quatre jours se sont écoulés entre la découverte de la blessure de Kendji Girac et cette conférence de presse, pendant lesquels très peu d’informations ont filtré. « Je pense qu’il s’est senti obligé de combler ce silence et de montrer le travail réalisé », souligne maître Emmanuel Pierrat. Dès qu’il a pris la parole, le procureur a précisé qu’il souhaitait « éviter la propagation de rumeurs et rétablir la vérité ». Il a été raconté par exemple que les gendarmes éprouvaient des difficultés d’accès au camp, qu’il avait fallu mener des négociations pour l’obtention de l’arme puis du chargeur. « Il s’est senti obligé de justifier tout ce qu’ils ont fait et de fait, il nous raconte tout », commente l’avocat.

Le classement sans suite de l’affaire n’est pas encore effectif, puisque des expertises sont encore en cours. « Moi, je suis un peu resté ébahi, car on parle de cocaïne, de détention d’armes, de dissimulation d’armes, de faux témoignages, des faits qui sont répréhensibles, et il sort les rames pour peut-être justifier maladroitement le classement à venir », pointe maître Emmanuel Perriat.

Si ce n’est pas encore officiel, Olivier Janson est pressenti pour devenir avocat général à Toulouse à partir de la rentrée prochaine. « Cette conférence de presse ne va pas nécessairement jouer en sa faveur », glisse l’avocat. « Il se peut qu’il y ait des événements qui se passent de l’ordre de la vie privée [de Kendji Girac], de la carrière professionnelle dans les semaines à venir, qui vont peut-être altérer un peu cette conférence de presse un peu angélique », complète-t-il.

Emmanuel Perriat précise qu’il n’y a aucune faute pénale ou professionnelle à son sens dans cette affaire, mais de la « maladresse » et une difficulté à être « à la hauteur de l’enjeu ».

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