terminusRetour sur l’échec de Railcoop, qui voulait relancer la ligne Bordeaux-Lyon

Railcoop : Les raisons de l’échec de cette coopérative ferroviaire qui voulait relancer la ligne Bordeaux-Lyon

terminusLa liquidation judiciaire de la coopérative ferroviaire Railcoop, qui voulait notamment relancer la ligne de train Bordeaux-Lyon, sera « très probablement » prononcée le 29 avril par le tribunal de commerce de Cahors
Railcoop avait pour ambitionner de relancer des lignes Intercités de province à province, notamment la ligne Bordeaux-Lyon.
Railcoop avait pour ambitionner de relancer des lignes Intercités de province à province, notamment la ligne Bordeaux-Lyon. - Mickaël Bosredon / 20 Minutes / 20 Minutes
Mickaël Bosredon

Mickaël Bosredon

L'essentiel

  • Le tribunal de commerce va « très probablement » prononcer la liquidation de Railcoop le 29 avril.
  • Née en 2019, cette coopérative ferroviaire basée à Figeac (Lot) s’était fixée comme objectif de relancer une liaison ferroviaire entre Bordeaux et Lyon via Périgueux, Limoges, Montluçon et Roanne. Prévu initialement à l’été 2022, le démarrage avait été plusieurs fois repoussé, faute de moyens.
  • Entre une activité de fret pas assez rentable, un statut coopératif qui a ralenti l’arrivée de fonds privés, et une ligne Bordeaux-Lyon trop vétuste, 20 Minutes revient sur les raisons de l’échec Railcoop.

Sonnée, mais pas complètement KO. L’équipe dirigeante de Railcoop, cette coopérative ferroviaire qui voulait relancer plusieurs lignes de train abandonnées par la SNCF, notamment la Bordeaux-Lyon, n’a désormais plus d’espoir quant à l’avenir de l’entreprise, mais espère que le chemin qu’elle a tracé ces dernières années, va permettre de rouvrir ces lignes délaissées.

Le 15 avril, le tribunal de commerce de Cahors (Lot) a annoncé qu’il statuera « le 29 avril sur la fin de la période d’observation de la procédure de redressement judiciaire », a expliqué lors d'une conférence de presse le PDG de Railcoop, Nicolas Debaisieux. « Le tribunal devrait très probablement prononcer la liquidation de l’entreprise », a-t-il ajouté. Il a cependant insisté sur « la forte mobilisation des sociétaires qui veulent poursuivre l’aventure. »

« On a identifié un besoin de développer des offres ferroviaires intercités de province à province, et si la SCIC [Société coopérative d’intérêt collectif] est liquidée, le fond du projet reste pertinent », assure le PDG de Railcoop. « Peut-être que d’autres structures pourront récupérer ce que nous avons fait, pour poursuivre le travail. Nous avons été les premiers à démarrer, et nous avons pavé le chemin de succès futurs », veut encore croire Nicolas Debaisieux.

Mais pourquoi le projet de Railcoop a-t-il ainsi déraillé ? 20 Minutes fait le point sur les raisons de cet échec.

Un lancement dans la difficulté

Née en 2019, Railcoop s’était fixé comme objectif de relancer une liaison ferroviaire entre Bordeaux et Lyon via Périgueux, Limoges, Montluçon et Roanne. Prévu initialement à l’été 2022, le lancement avait été plusieurs fois repoussé, faute de moyens. « La pandémie, notamment, a mis à mal notre business plan », estiment aujourd’hui les dirigeants.

Railcoop avait cherché en 2023 à lever 500.000 euros supplémentaires auprès de ses 14.500 sociétaires pour payer les salaires et les factures de ses fournisseurs. Fin septembre, elle n’avait réuni que 383.500 euros, la contraignant à ouvrir une procédure devant le tribunal de commerce. Railcoop avait été placée en redressement judiciaire à la mi-octobre, ce qui ouvrait un délai de six mois pour trouver des capitaux afin de garantir la poursuite de son activité.

Cette phase de redressement judiciaire « nous avait permis de stabiliser la situation », assure Nicolas Debaisieux. « Nous avions convaincu un fonds d’investissement espagnol » de rejoindre l’aventure, « et nous avions obtenu une lettre d’intention d’un deuxième fonds d’investissement ». « Nous avions retravaillé le projet pour un démarrage réduit de l’activité, avec seulement un aller-retour par jour sur Bordeaux-Lyon, ce qui nécessitait un investissement de 11 millions d’euros. Nous avions des lettres d’intention pour couvrir 60 % de ce budget, il nous manquait donc 3,5 millions d’euros. » Railcoop avait notamment besoin de céder deux des rames d’occasion qu’elle avait achetées, « ce qu’on n’a pas pu faire, événement qui ne nous permet pas de continuer. »

Un conflit sur le contrat de gardiennage des rames

Ce n’est pas la cause principale de l’échec de Railcoop, « plutôt la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », analyse Nicolas Debaisieux. Les deux rames que la coopérative devait céder, sont stockées par la société ACC M, spécialiste de la restauration de matériels ferroviaires, sur son site de Clermont-Ferrand. Mais il y a eu « divergence » entre ACC M et Railcoop sur le contrat lié au stockage de ces rames. L’entreprise clermontoise réclamait 880.000 euros de frais de garage à Railcoop. L’affaire a été portée en justice, qui a donné partiellement raison à ACC M. « La décision du tribunal de Clermont estime que 245.000 euros, liés aux créances datant d’avant l’entrée en redressement, et 160.000 euros après l’entrée en redressement, sont exigibles. » Ce que Railcoop n’a pas les moyens de payer. Et, au-delà de ces sommes, la vente des deux rames s’est retrouvée bloquée.

Une activité de fret pas assez rentable

En plus de l’activité voyageurs, Railcoop voulait développer une activité de fret. C’est même par là qu’elle avait commencé. Mais elle avait dû suspendre en avril 2023 sa liaison commerciale entre Viviez-Decazeville (Aveyron) et Saint-Jory (Haute-Garonne). « Le fret nous a coûté plus de 3 millions d’euros [sur un projet global estimé entre 40 et 50 millions d’euros], analyse Nicolas Debaisieux. La croissance des recettes du fret a été plus lente que prévu : nous aurions dû traiter un flux de 576 wagons pour le transport du bois, on n’en a traité que 80 sur la première année. Cela a consommé notre trésorerie. »

« On a maintenu le fret autant qu’on a pu, jusqu’au moment où c’était intenable », ajoute Philippe Bourguignon, administrateur de Railcoop. L’entreprise a-t-elle pêché en voulant mener un projet sur deux fronts, le fret et le voyageur ? « Nous devions d’abord faire nos preuves, montrer que l'on pouvait faire rouler des trains, et il était plus facile de démarrer par le fret », analyse encore Philippe Bourguignon, qui assume ce choix. « Mais le problème du fret est que c’est un gros consommateur de cash », reconnaît-il.

Le statut coopératif a-t-il freiné le projet ?

Le PDG de Railcoop reste convaincu que le statut de SCIC « a été une force. » « On a tout financé par une communauté qui s’est engagée, et il y a eu énormément de travail d’analyse, d’intelligence de produits grâce au modèle coopératif. » Problème : « nos statuts ne permettent pas aux investisseurs de start-up de nous accompagner », or les dirigeants de Railcoop ont compris au fil du temps que le ferroviaire nécessitait des capitaux importants. « C’est pour cela qu’on a fait évoluer le modèle en octobre dernier, en créant d’autres structures non-coopératives, sur lesquelles les fonds d’investissement pouvaient intervenir, c’est ce schéma que nous étions en train de construire pour arriver à passer à l’échelle industrielle », poursuit Nicolas Debaisieux.

Cette bascule vers un modèle « hybride » est certainement arrivée trop tard. « On n’a pas su faire partager ce besoin avec les sociétaires suffisamment fortement et suffisamment tôt », reconnaît Philippe Bourguignon, qui souligne « un rejet assez fort de leur part d’aller vers le monde du privé. » Pourtant, « il ne faut pas avoir de dogme en matière de statut d’entreprise, et il est probable que ce système hybride comme on a essayé de le développer, aurait toute sa place pour développer des lignes comme Bordeaux-Lyon. »

Les collectivités ont-elles suffisamment soutenu le projet ?

De nombreuses collectivités, dont beaucoup d’EPCI (Etablissement publics de coopération intercommunale), sont entrées au capital de Railcoop. Mais pour Nicolas Debaisieux, « on n’a pas été assez soutenu, ni par l’Etat, ni par les deux régions directement concernées par la Bordeaux-Lyon, Nouvelle-Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes ». Concernant le financement du matériel roulant et sa rénovation, « il existe un mécanisme européen de prêt garanti par l’État auquel nous n’avons pas pu avoir accès. » Or, selon le PDG de Railcoop, « le financement du matériel, étant donné son coût, est un élément clé ». Lorsque l’entreprise s’est tournée vers les régions, « on a eu un soutien de la région Occitanie, une implication de la région Grand-Est et Bourgogne, mais les deux régions concernées, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine ont refusé. Il y a eu un désintérêt ».

Renaud Lagrave, vice-président en charge des transports de la région Nouvelle-Aquitaine, n’est pas de cet avis. « Nous avons rencontré Railcoop dès le début, nous leur avons dit que nous étions d’accord pour travailler avec eux sur la ligne, nous avons trouvé des accords pour partager des sillons, et nous leur avons proposé d’acheter des trains. En revanche, nous avons refusé d’entrer au capital, parce qu’ils rentrent dans la catégorie des SLO, les ''services librement organisés'', que nous n’avons pas le droit de subventionner » estime l'élu, qui reconnaît que d'autres collectivités n'ont manifestement pas eu « la même analyse. » « Par ailleurs, si à terme Railcoop s'était montrée intéressée pour entrer sur le marché des TER, cela aurait posé un problème d’être au capital d’une société qui, potentiellement, pouvait répondre à nos propres appels d’offres. »

La ligne Bordeaux-Lyon trop vétuste ?

Pour Renaud Lagrave, « Railcoop n’a pas choisi la plus facile des lignes pour se lancer avec l’axe Bordeaux-Lyon, car il y avait un gros chantier au niveau infrastructures à mener. Et ce qui conditionne le service, c’est le réseau ». Philippe Bourguignon reconnaît que « l’état du réseau de cette ligne est assez calamiteux, ce qui complexifie le fonctionnement. Il vaut mieux aller sur des lignes où le système de signalisation n’est pas trop vétuste ».

Et maintenant ?

Si la liquidation est bien prononcée le 29 avril, « tous les montants investis seront perdus », annonce Nicolas Debaisieux. « On est sur un montant moyen d’investissement de 300 euros pour les personnes physiques, un peu plus pour les personnes morales. Comme toute entreprise liquidée, il y a une perte en capital et une perte des parts sociales. » La coopérative a également reçu « environ 800.000 euros » de différentes collectivités, dont « 300.000 euros de la région Grand-Est et 100.000 euros de la métropole de Lyon ». Concernant les créances, « l’entreprise a des actifs, des rames, dont nous sommes propriétaires. Elles seront cédées à un moment donné pour, notamment, prendre en charge les salaires ».