Au naturelJusqu’où BeReal peut-il aller ?

Jusqu’où BeReal peut-il aller ?

Au naturelLa hype de ce réseau social français est de retour, mais il lui faut encore trouver son modèle économique pour transformer l’essai
BeReal est utilisé par _ utilisateurs (illustration).
BeReal est utilisé par _ utilisateurs (illustration). - Mourad Allili / Sipa / Sipa
Quentin Meunier

Quentin Meunier

L'essentiel

  • L’application française BeReal propose de poster une photo de son quotidien à un moment aléatoire de la journée, dans un objectif d’authenticité.
  • Elle connaît un retour de hype, notamment depuis son lancement aux Etats-Unis en 2022.
  • L’application met maintenant en avant des célébrités ou des marques. Une fonctionnalité qui pourrait servir de piste à une future monétisation.

Il est 12h53. Nina est en train de manger. Soudain une notif apparaît sur son téléphone : « C’est l’heure du BeReal. » Elle a deux minutes pour prendre son repas en photo et montrer à quel point sa vie est cool. Cette notification, 23 millions de personnes la reçoivent simultanément chaque jour, selon les dernières déclarations de l’entreprise au média américain TechCrunch. C’est le concept de l’application française lancée en 2020. En demandant une photo à l’improviste, elle espère « contrer les effets négatifs des réseaux sociaux sur notre santé mentale et se concentrer sur les connexions réelles avec nos proches », vante Romain Salzmann, directeur des opérations du réseau social. Sur BeReal, il n’y a pas non plus de scroll ou de fil public, les photos des utilisateurs sont uniquement visibles par les contacts qu’ils ont acceptés.

Un concept qui a trouvé son public. Jérémie, par exemple, l’utilise presque tous les jours depuis deux ans, et il joue le jeu. « C’est devenu un réflexe, explique-t-il. Si je vois la notif, je prends ce que je suis en train de faire. Souvent ce sont des photos de mon écran d’ordi au boulot. » Selon Romain Salzmann, la génération Z représente 80 % des utilisateurs de BeReal. Mais cela n’empêche pas l’application de toucher tout le monde. « C’est ma fille de 23 ans qui m’a poussé à y aller, confie Gilles, 51 ans. Et effectivement je n’ai aucun pote de mon âge sur ce réseau ! J’étais sur Insta à l’époque où les gens prenaient encore des photos d’eux, et c’est ce que je retrouve dans BeReal. »

« L’authenticité n’est pas tenable sur le long terme »

BeReal veut aussi jouer à contrepied des algorithmes captivants des autres réseaux sociaux. « C’est moins addictif, approuve Jérémie. Une fois que tu as checké les photos de tes 20 ou 30 amis, il n’y a pas d’intérêt à rester sur l’appli. »

« « BeReal, c’est un peu ce qu’était Snapchat il y a dix ans. La différence se trouve dans le positionnement social et dans le style. D’après mes observations, Snapchat est un réseau très populaire, au sens sociologique. C’est presque un stigmate pour les CSP moyennes et supérieures. » »

Stéphanie Laporte, directrice du master réseaux sociaux à l’Inseec et fondatrice de l’agence Otta

L’application française aurait-elle remplacé la dictature de l’image par une autre ? Ce système amène un aspect « Je n’ai pas besoin de filtre pour montrer que ma vie est intéressante ». Et plusieurs personnes interrogées nous avouent tricher un peu pour contourner le système. « On fait croire qu’on prend le moment présent, mais le pari de l’authenticité n’était pas tenable sur le long terme. Si tant est que ce soit souhaitable : mise en scène ne veut pas forcément dire mensonger ou manipulateur », analyse Anne Cordier, enseignante-chercheuse en sciences de l’information et de la communication, spécialiste des pratiques numériques des jeunes. Premier renoncement : les Late BeReal, une option pour poster sa photo après la notification, moyennant une mention qui l’indique à vos contacts.

Vers une influence à la BeReal ?

Reste que, quatre ans après son lancement, l’application connaît un retour de hype. « C’est un retour à la mode assez classique avec ce type d’innovation. Il y a une phase d’engagement, puis une banalisation, poursuit l’enseignante. Après, au regard d’autres innovations ou de l’actualité, cela peut évoluer. Toute l’actualité autour de TikTok récemment nous amène à poser un autre regard sur les alternatives. » Cette nouvelle popularité n’est pas étrangère au lancement de l’application aux Etats-Unis en 2022, où elle s’était un temps hissée au top des téléchargements sur iPhone. « La stratégie, c’est d’attirer des stars majeures, comme Taylor Swift, décrit Stéphanie Laporte. Comme quand Justin Bieber est arrivé sur Twitter. » « Le Japon est un de nos pays avec la plus forte croissance, et une grande quantité de nos utilisateurs vivent aux Etats-Unis, en France, au Japon ou en Allemagne », détaille Romain Salzmann.

Des nouveaux marchés, BeReal en a besoin. L’application ne propose ni téléchargement payant, ni pub, ni abonnement, et vit pour l’instant sur des levées de fonds. Selon Les Echos, le réseau social a notamment levé 80 millions de dollars en mai 2022, et était valorisé, cette année-là, à 600 millions d’euros.

Cela pourrait bientôt changer avec le déploiement progressif de BeReal People et BeReal Brand, bien que Romain Salzmann affirme que ces fonctionnalités, qui mettent en avant des célébrités ou des marques, ne sont pour l’instant pas des canaux de monétisation. « On pourrait imaginer une influence à la BeReal, avec un contenu exclusif comme on le voit sur les nouvelles fonctionnalités Insta ou sur Onlyfans, envisage néanmoins la cofondatrice de l’agence Otta. Les marques sont encore assez peu intéressées, déjà à cause du gap générationnel. Ensuite, il y a un côté presque trop proche de l’utilisateur, qui peut poser des questions d’images de marque ou de sécurité. » Il faut encore que cela intéresse les gens. « J’ai un doute sur la capacité de pénétration des usagers, répond Anne Cordier. Instagram est plus fort sur ce plan-là, avec une mise en scène assumée et un aspect communautaire. Le fait qu’en France, la figure qui porte ça soit Gabriel Attal (lire l’encadré), c’est pas très bankable ! » « Je n’ai pas forcément envie de savoir ce qu’ils font de leur journée, confirme Jérémie. A partir du moment où ça devient un truc de com, ça perd de son intérêt. »

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Un réseau social fragile ?

Difficile pour BeReal de réinventer la roue. Les utilisateurs sont réfractaires au changement, comme le prouvent les protestations initiales à l’introduction des Late. Et surtout, rien n’empêche les autres réseaux de copier ses fonctionnalités. En introduisant ses Spaces, Twitter avait par exemple touché Clubhouse en pleine ascension. TikTok a déjà essayé de copier le concept de photo à l’improviste en 2022, mais la fonctionnalité à disparu faute d’utilisateurs. « Il y avait un trop grand écart entre l’usage principal (regarder des vidéos) et le fait de poster soi-même du contenu, et sûrement un manque de communication », juge Stéphanie Laporte. Une fonctionnalité équivalente sur Instagram signera-t-elle la fin de BeReal ? En attendant, on continuera à prendre des photos tristes de son trajet en métro.

Les politiques sont sur BeReal

Ceux qui utilisent l’application ont sûrement déjà vu la notification « Gabriel Attal vient de poster un BeReal ». Le chef du gouvernement est la grande figure du programme BeReal People en France. Depuis février, il a par exemple montré les coulisses de sa visite dans un internat de Nice, des QAG ou de la foire au bulot de Pirou (Normandie). De quoi donner des idées à d’autres figures publiques ? « Ça me paraît cohérent que des politiques y soient. En plus de s’adresser à un public jeune, ça donne la possibilité de faire de la pédagogie sur certaines mesures », explique Stéphanie Laporte, directrice du master réseaux sociaux à l’Inseec. Ça reste moins bien que Taylor Swift.

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