INTERVIEWBaby Lasagna, favori de l’Eurovision, était « prêt à abandonner la musique »

« Juste avant l’Eurovision, j’étais prêt à abandonner la musique », confie le favori Baby Lasagna

INTERVIEWA 28 ans, le fantasque Baby Lasagna (Marko Purišić à la ville) pourrait offrir à son pays, la Croatie, samedi 11 mai, une première victoire à l’Eurovision. « 20 Minutes » l’a rencontré à Malmö où se déroulera l’édition 2024 du concours
Baby Lasagna (nom de scène de l'artiste croate Marko Purišić), lors de la deuxième répétition de l'Eurovision à la Malmö Arena de Malmö (Suède), le 1er mai 2024.
Baby Lasagna (nom de scène de l'artiste croate Marko Purišić), lors de la deuxième répétition de l'Eurovision à la Malmö Arena de Malmö (Suède), le 1er mai 2024. - Alma Bengtsson / UER / Eurovision.tv
Fabien Randanne

Propos recueillis par Fabien Randanne

L'essentiel

  • Marko Purišić est un auteur, compositeur et interprète croate de 28 ans. Sous le pseudonyme de Baby Lasagna, il représente la Croatie à l’Eurovision 2024 avec la chanson Rim Tim Tagi Dim. Grand favori de cette édition, selon les bookmakers, il participera à la première demi-finale, mardi, à Malmö (Suède).
  • « J’aime mélanger les choses tristes avec les choses sérieuses. L’humour à la South Park, que je regardais quand j’étais plus jeune, ça me parle. Il y a une critique de la société à travers des vannes, j’adore ça, j’adore faire ça », explique-t-il à 20 Minutes.
  • « Ma motivation vient des Croates. Nous n’avons jamais gagné l’Eurovision et, en ce moment, c’est le sujet qui fait le plus parler dans mon pays, ce qui est inédit. Je dois donc faire de mon mieux et advienne que pourra », assure-t-il.

De notre envoyé spécial à Malmö (Suède)

« C’est Marko que vous avez en face de vous. Baby Lasagna n’apparaît que sur scène », nous prévient-il quand on le rencontre, ce vendredi matin, à son hôtel au nord-ouest de Malmö. L’artiste croate de 28 ans a créé son alter ego artistique il y a un an. A l’approche de la finale de l’Eurovision, qui se déroulera le 11 mai, il est le favori pour décrocher le trophée, selon les bookmakers. Il faut dire qu’avec sa chanson Rim Tim Tagi Dim, il ne passe pas inaperçu. Le morceau est enjoué, presque une caricature des propositions barrées que réserve régulièrement le concours. Cependant, les paroles parlent du fait de quitter son chez-soi, son pays, à la recherche d’une vie meilleure… Rencontre avec un auteur, compositeur et interprète qui a choisi de mêler l’humour au sérieux y compris dans ses réponses.

Au départ, vous ne figuriez pas au casting de la sélection croate pour l’Eurovision. Vous avez été repêché après qu’une candidate s’est désistée. Vous croyez au destin ?

Je crois que les choses qui doivent arriver arrivent. Je suis heureux de ne pas avoir été sur la première liste. Avoir été repêché de la liste d’attente, ça ajoute une dimension à mon histoire, celle de l’outsider auquel les gens s’attachent. Quand j’ai appris que j’étais sur la liste de réserve je pensais n’avoir aucune chance parce que personne n’abandonne jamais. Et puis quelqu’un s’est retiré et ils m’ont appelé. Mais quand j’ai reçu le coup de fil, j’étais loin d’imaginer gagner la sélection. Et maintenant, on me dit que gagner l’Eurovision est possible. C’est fou ! Je crois au destin, il y a trop de signes pour que ce soit juste une coïncidence. Tant de petites choses sont arrivées.

Par exemple ?

Avant d’être sur la liste d’attente, j’ai candidaté pour un boulot. Je m’étais résigné au fait que la musique ne paierait pas mes factures et ne me donnerait pas les moyens de fonder une famille. Il me fallait un travail et je savais que le trouver serait le début de la fin. C’était pour un bon poste, je suis allé loin dans le processus de recrutement. Et puis, on m’a appelé pour la sélection Eurovision, j’ai demandé aux recruteurs s’il était possible d’attendre. Ils m’ont laissé un mois. J’ai gagné la sélection croate. Ils m’ont rappelé : « Félicitations, peut être que nous collaborerons à l’avenir mais pour l’instant, bonne chance dans votre carrière musicale. » J’aime raconter cette histoire, elle rappelle que, parfois, même si vous pensez que c’est fini, ça ne l’est pas vraiment. J’étais prêt à abandonner la musique. Je voyais tout le monde avancer et moi j’en étais toujours au même point que quand j’étais au lycée. La plupart de mes amis avaient un travail, une voiture, un appartement et moi je n’avais rien de tout ça, j’étais fauché. Je n’avais même pas un vélo parce que j’ai investi tout mon temps et mon argent dans la musique. Je me demandais pourquoi je faisais ça, si je n’étais pas fou. J’espère que mon histoire inspirera certaines personnes et les incitera à ne pas abandonner.

Comment est né Baby Lasagna ?

J’écrivais pour d’autres groupes et, à chaque fois, il fallait répondre à une demande précise : la chanson devait parler de tel sujet, être sur tel tempo, créer telle atmosphère, etc. J’ai ressenti le besoin de créer quelque chose pour moi, la musique que je voulais moi, et c’est ainsi que Baby Lasagna est né il y a un an.

Pourquoi ce nom ?

Il n’y a pas de raison particulière, pas d’histoire renversante. Ce ne sont pas les derniers mots de mon grand-père sur son lit de mort (rire). J’étais en bord de mer avec ma fiancée et je cherchais un endroit pour acheter de l’eau parce que j’avais la migraine et que je voulais prendre un médicament. Cela m’a inspiré une chanson et j’avais besoin d’un nom pour ce projet, Baby Lasagna a surgi à mon esprit, c’était à la fois complètement aléatoire et drôle, ça m’allait.

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

Quand avez-vous commencé à faire de la musique ?

A 9 ans, mes parents m’ont acheté une guitare pour mon anniversaire. Mon père est musicien, donc c’était plutôt naturel pour moi, je le voyais jouer tout le temps. J’ai créé mon premier groupe au même moment. J’ai toujours la première chanson que j’ai écrite à cet âge-là. Elle s’appelle Song of Love, c’est gnangnan mais j’étais jeune, soyez indulgent. Mon père a également écrit pas mal de livres, je l’ai toujours vu créer. Cela a peut-être suscité ce besoin en moi de créer à mon tour. J’écris moi aussi des bouquins, du moins j’essaie.

Qu’écrivez-vous ? Quel style de romans ?

Roman me semble un bien grand mot alors j’essaie d’écrire des nouvelles. Je suis un débutant. Ce sont surtout des dialogues, deux personnes qui discutent, c’est l’aspect psychologique qui m’inspire, un peu comme chez Dostoïevski, non que je me compare à lui, bien sûr (rires). Mais c’est ce qui me parle.

Comment concevez-vous vos chansons ? Les mélodies vous viennent spontanément en tête ?

Mon téléphone est plein de notes vocales, je crée en permanence, mais je pense que c’est normal pour un musicien. Pour être honnête, depuis que tout a commencé avec la sélection croate pour l’Eurovision en début d’année, ce qui me manque le plus, c’est de m’asseoir dans ma chambre et d’écrire des chansons.

« Rim Tim Tagi Dim » est aussi partie d’une note vocale ?

Presque. J’ai posé la mélodie « tag-da-taga-da-dag-dag » (il chantonne), cela sonnait très cool. Quand j’écris une chanson, toutes les quinze minutes je fais une pause. Alors je me suis pris un café et j’ai continué à chanter en me disant qu’il y avait quelque chose à faire.

Le texte est plus sérieux que l’orchestration n’en donne l’impression…

J’aime mélanger les choses tristes avec les choses sérieuses. L’humour à la South Park, que je regardais quand j’étais plus jeune, ça me parle. Il y a une critique de la société à travers des vannes, j’adore ça, j’adore faire ça. Si je ne mettais pas de drôlerie dans ce que je fais, j’aurais l’impression de faire un prêche, de donner des leçons. Ne faire que de l’humour, c’est rester superficiel. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, mais je suis incapable de me cantonner à l’humour en musique. L’humour mêlé au sérieux, c’est Baby Lasagna.

Preuve de votre second degré, vous chantez que ceux qui vous manqueront le plus, davantage que vos proches, ce sont vos chats…

Je voulais incorporer ça dans ma chanson puisque c’est quelque chose qui est proche de moi. Je suis devenu un dingo des chats depuis trois ou quatre ans, c’est gênant à quel point je les aime. Ma fiancée les aime encore plus. Il y a quelques jours, j’étais ici à l’hôtel et je lui ai dit que les chats commençaient à me manquer, que je voulais les retrouver. J’en éprouvais un besoin physique.

Vous êtes, au moment où nous faisons cette interview, [vendredi 3 mai] le favori des bookmakers pour remporter l’Eurovision. Cela vous évoque quoi ?

Mon état d’esprit, c’est, comme le disait Kobe Bryant : « What’s there to be happy about ? Job’s not finished ». [ « De quoi devrait-on se réjouir ? On n’a pas fini le boulot. »]. Nous sommes premiers chez les bookmakers, mais tant que rien n’est fait, on ne se réjouit pas. On peut toujours finir derniers.

Cette position de favori, c’est une pression ? Une motivation ?

Les deux. C’est une motivation dans le sens où, maintenant, les gens attendent que je sois le meilleur, donc je dois donner le meilleur de moi. Mais, plus largement, ma motivation vient des Croates. Nous n’avons jamais gagné l’Eurovision et, en ce moment, c’est le sujet qui fait le plus parler dans mon pays, ce qui est inédit. Je dois donc faire de mon mieux et advienne que pourra.

Vous avez noué des liens d’amitié avec d’autres artistes en lice cette année ?

Pour être franc, je suis un introverti alors c’est difficile pour moi d’aller vers les autres. Je suis aussi très timide. Certains sont venus vers moi. J’ai eu de chouettes discussions avec Isaac, le représentant allemand. Je l’aime beaucoup. J’ai parlé un peu à tout le monde, mais il n’y a pas vraiment d’amitié. Pour l’instant, nous sommes des gens qui nous connaissons, mais j’espère qu’à la fin de la semaine, j’aurais au moins un ami.

Sujets liés