secrets d’agentsPourquoi l’Allemagne est-elle un véritable « nid d’espions » ?

« Un nid d’espions »… Pourquoi l’Allemagne aimante-t-elle tous les services de renseignement de la planète ?

secrets d’agentsLes arrestations d’agents à la solde de la Chine ou de la Russie se multiplient outre-Rhin depuis plusieurs semaines
La police allemande a arrêté plusieurs personnes soupçonnées d'être des espions à la solde de la Chine ou de la Russie ces dernières semaines en Allemagne. (Illustration)
La police allemande a arrêté plusieurs personnes soupçonnées d'être des espions à la solde de la Chine ou de la Russie ces dernières semaines en Allemagne. (Illustration) - dts News Agency Germany/Shutters / SIPA
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Un assistant parlementaire qui aurait espionné au profit de la Chine, deux espions russes présumés… Les affaires d’espionnage se multiplient en Allemagne.
  • En décembre 2022 déjà, l’espionnage faisait scandale outre-Rhin. Un haut fonctionnaire des services de renseignement extérieur allemands (BND) avait été arrêté pour avoir transmis un « secret d’Etat » à la Russie.

L’épisode de James Bond Bons baisers de Russie aurait-il dû s’appeler Bons baisers de Berlin ? Depuis quelques semaines les affaires d’espionnage prolifèrent outre-Rhin. Lundi, un ancien officier de l’armée allemande, arrêté en août 2023, a avoué avoir espionné au profit du Kremlin. Mardi dernier, un collaborateur d’un parti d’extrême droite allemand au Parlement européen a été arrêté, soupçonné d’être un espion chinois. Mi-avril, Berlin aurait mis la main sur deux espions russes.

Pire encore, en mars la Russie a diffusé sur les réseaux sociaux l’enregistrement audio d’une visioconférence entre des officiers allemands de haut rang, qui discutaient des livraisons d’armes à l’Ukraine. D’autres affaires d’espionnage ont été mises au jour dans d’autres pays européens, à l’instar du Royaume-Uni. Mais, de Jason Bourne à OSS 117, tous les espions du monde semblent s’être donnés le mot pour se rejoindre en Allemagne.

Un « nid d’espions » historique

« Ce pays occupe une position géographique particulièrement avantageuse, c’est un carrefour entre l’Est et l’Ouest. Dans l’histoire de l’espionnage, l’Allemagne et l’Europe centrale plus généralement, ont toujours constitué un nid d’espions », réagit Alain Rodier, ex-officier supérieur de la DGSE (Direction générale du renseignement extérieur français) et directeur de recherche au sein du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R).

En étant en Allemagne, les espions peuvent non seulement surveiller le territoire mais aussi se concentrer sur l’Union européenne et même certaines des places fortes les plus influentes de l’économie mondiale. Comme la Banque centrale européenne qui se trouve à Francfort. « Entre son influence politique et sa position géographique, l’Allemagne intéresse tous les services de renseignement de la planète », glisse Alain Rodier. Car si les dernières arrestations concernent des agents de la Chine ou de la Russie, ils ne sont pas les seuls à lorgner sur Berlin.

Les grandes oreilles des Occidentaux

« C’est un monde opaque où tous les coups sont permis. La Chine et la Russie espionnent mais ce n’est pas comme si les Occidentaux n’étaient pas actifs, eux aussi ! », signale Yves Boyer, ancien directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). « La France possède à Mayotte un centre d’écoute qui gère tout le bassin de l’océan Indien », rappelle le spécialiste des questions de défense.

Mais aussi plusieurs autres en France métropolitaine ou encore à Kourou, en Guyane, idéalement placée pour surveiller les Américains. Car, quand il s’agit de renseignement, les amitiés s’effacent au profit des intérêts de chacun. « Tout le monde espionne. Et il ne faut surtout pas croire que les 17 services de renseignement américains se tournent les pouces et que, comme les Allemands sont théoriquement leurs alliés, ils ne sont pas dans le jeu », glisse Alain Rodier. En témoignent les révélations des écoutes américaines d’Angela Merkel en 2013 puis des présidents français Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande en 2015.

Le fantôme de la Gestapo

« Il est possible que l’augmentation du nombre d’affaire d’espionnage ne vienne pas directement d’une augmentation de l’activité de renseignement en Allemagne mais plutôt d’une amélioration des services de contre-espionnage », avance Alain Rodier.

Le directeur de recherche au CF2R rappelle que les Allemands disposaient d’un appareil de renseignement extrêmement efficace avec la Gestapo. « Mais les Allemands ont été traumatisés, et c’est tout à fait naturel, donc le contre-espionnage a ensuite beaucoup été bridé par le pouvoir politique », explique-t-il.

Une communication bien léchée

Yves Boyer avance une hypothèse différente. « De temps en temps, il y a une affaire mais, souvent, on n’en parle pas. C’est éminemment politico-stratégique de communiquer sur ces affaires, note-t-il. Si on parle, c’est qu’il y a des intérêts politiques derrière. » « La communication est très étroite dans le domaine du renseignement, ils ne veulent bien parler que lorsqu’ils y voient un intérêt », abonde Alain Rodier. L’ex-officier supérieur des services français ajoute que « les Allemands [ont] la réputation d’une communication extrêmement maîtrisée : sur certaines affaires, les médias sont grassement approvisionnées, sur d’autres, c’est le silence radio ».

Alors que les Etats-Unis menacent d’interdire le réseau social chinois TikTok et que l’Union européenne a lancé une enquête à son encontre, « montrer du doigt l’espionnage chinois pourrait préparer l’opinion publique allemande à une interdiction du réseau social », théorise Yves Boyer. Et, dans tous les cas, ces affaires permettent de montrer du doigt ceux qui sont catégorisés comme des ennemis. Mais les intentions du pouvoir allemand – s’il en a – restent nébuleuses. Car dans ce monde opaque, comme le rappelle Yves Boyer, « ceux qui savent vraiment ne disent rien »…

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