PROCESVengeance dans un clan mafieux et « baiser de la mort » aux assises d’Aix

Fusillade de l’aéroport de Bastia : La guerre fratricide dans le clan mafieux et « le baiser de la mort » de la matonne

PROCESLe 5 décembre 2017, une fusillade à l’aéroport de Bastia fait deux morts. Rapidement, la piste d’un règlement de compte au sein du clan mafieux de la Brise de mer s’impose. Le procès s’ouvre ce lundi à Aix-en-Provence
Antoine Quilichini et Jean-Luc Codaccioni ont été la cible d'une fusillade à l'aéroport de Bastia le 5 décembre 2017. Un double assassinat qui s'inscrit dans une lutte fratricide au sein du clan mafieux de la « Brise de mer ».
Antoine Quilichini et Jean-Luc Codaccioni ont été la cible d'une fusillade à l'aéroport de Bastia le 5 décembre 2017. Un double assassinat qui s'inscrit dans une lutte fratricide au sein du clan mafieux de la « Brise de mer ». - Pascal Pochard-Casabianca / AFP / AFP
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Le 5 décembre 2017, une fusillade éclate sur le parking de l’aéroport de Bastia. Antoine Quilichini est tué sur le coup, Jean-Luc Codaccioni décèdera une semaine plus tard des suites de ses blessures.
  • Cette fusillade s’inscrirait dans une lutte fratricide au sein de la Brise de mer, pour venger notamment l’assassinat des pères de plusieurs des accusés.
  • Le procès, qui se tient à Aix-en-Provence, est prévu pour durer jusqu’au 5 juin. Dix-sept personnes sont jugées.

L’affaire a été adaptée au cinéma avant même d’être jugée. Il faut dire que certains dossiers criminels surpassent la fiction. Imaginez un peu : un double assassinat perpétré au milieu d’un aéroport sur fond de vengeance au sein d’un clan mafieux et dans lequel une matonne est soupçonnée d’avoir donné le « baiser de la mort » à l’une des victimes. Si le film Borgo sorti à la mi-avril, connaît un démarrage relativement timide, il a suscité la colère des avocats de la défense. « Ce n’est pas tant le film en lui-même qui pose problème mais sa date de sortie : trois semaines avant le début du procès. Lorsqu’on connaît les enjeux, c’est scandaleux », s’insurge Me Gilles Portejoie, conseil d’une des principales accusées.

A partir de ce lundi et pour huit semaines, dix-sept personnes comparaissent devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône – sept pour « assassinat » ou « complicité », dix autres pour « association de malfaiteurs » – pour la fusillade mortelle de l’aéroport de Bastia-Poretta. Le 5 décembre 2017, alors que le vol « Orly-Bastia » vient tout juste de se poser, Antoine Quilichini, surnommé « Tony le Boucher », 49 ans, est transpercé par vingt-une balles de AK 47. Il était sorti de prison quinze jours auparavant et venait chercher, à bord d’une voiture blindée, son ami Jean-Luc Codaccioni, de retour d’une permission. Le quinquagénaire, qui s’apprêtait à regagner le centre pénitentiaire de Borgo, a succombé à ses blessures une semaine plus tard.

« Meneur d’une organisation criminelle structurée »

Les deux hommes, fichés au grand banditisme, étaient liés à la « Brise de mer ». Dans les box des accusés, plusieurs hommes sont également soupçonnés d’appartenir à ce clan mafieux corse. Les juges d’instruction voient dans ce crime « la continuation d’une guerre clanique » entre deux branches de l’organisation. Une vendetta fratricide, orchestrée par un « noyau » composée des frères Christophe et Richard Guazzelli, 32 et 34 ans, et Ange-Marie Michelosi, 35 ans, dont les pères, piliers de la Brise de Mer, ont été assassinés. « Christophe Guazzelli, malgré son jeune âge, s’érigeait en meneur d’une organisation criminelle structurée », insistent les magistrats. Cette analyse découle notamment des très nombreux SMS échangés entre les suspects. Si la majorité d’entre eux sont restés silencieux, les enquêteurs sont parvenus à craquer leurs téléphones portables, des modèles jusqu’alors réputés inviolables.

Le soir même de la fusillade, Christophe Guazzelli se vante par SMS d’avoir « fait tomber deux parrains ». « On se venge comme les grands de ce monde », écrit-il à l’un de ses co-accusés. « kan je te dis ke je lui ai mis dans la tête », précise-t-il à un autre. « Tu as fait un beau doubler » (sic), lui répond ce dernier. Autant d’éléments qui, pour les enquêteurs, ne font pas de doute : c’est lui qui se cachait sous le masque en latex utilisé par le tireur. Interrogé, son avocat Me Franck Berton, n’a pas souhaité faire de commentaire. Son frère, désigné comme « codirecteur de l’entente criminelle », se vante auprès de sa femme d’avoir fait « partir la guerre mondiale ». Quant à Micholesi, il revendique d’avoir « joué [son] rôle ».

La matonne de Borgo

Surtout, les messages cryptés ont permis d’identifier une femme qui apparaissait sur les images de vidéosurveillance. On la voit parler à Antoine Quilichini puis faire la bise à Jean-Luc Codaccioni. Pour les magistrats, ce geste désigne la victime au tireur et donne le coup d’envoi de la fusillade. Cette veuve noire, c’est Cathy Châtelain, épouse Sénéchal – elle a divorcé de son mari, également accusé dans ce dossier, pendant sa détention provisoire – une agente pénitentiaire de la prison de Borgo, en Corse. Elle a reconnu au cours de l’instruction son implication. C’est elle qui a communiqué les dates de la permission de Coddaccioni et était sur place pour le désigner au tireur. Elle précise toutefois qu’elle ignorait qu’Antoine Quilichini serait sur place. Lui, c’était « la cerise sur le gâteau », a-t-elle assuré aux magistrats.

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Qu’est-ce qui pousse une femme, mère de cinq enfants, sans casier judiciaire, à embrasser un tel projet criminel ? Elle « semblait avoir fait allégeance au clan », notent les juges d’instruction, précisant qu’elle n’était arrivée sur l’île de beauté que deux ans auparavant. L’argent – une somme « à six chiffres » lui avait été promise – ne saurait être la seule explication. Les magistrats notent une « fascination pour le milieu de la criminalité corse ». Elle, explique s’être simplement rapprochée de Micholesi lorsque ce dernier était en détention et avoir vu dans ce projet « une échappatoire » à sa vie. « Je lui ai proposé mes services parce que j’avais le sentiment d’appartenir à quelque chose », a-t-elle confié lors d’une audition.

« Une lassitude à la Emma Bovary »

« Les expertises psychologiques permettront probablement d’expliquer les contours de sa bascule, précise son avocat Me Gilles Portejoie. Mais cela ne se fait pas du jour au lendemain, c’est multifactoriel. Il y a une rencontre humaine, une lassitude à la Emma Bovary qui la pousse à se mettre en danger et puis elle se laisse un peu déborder… » Les investigations ont montré que son implication ne se limitait pas à ce « baiser de la mort ». Trois jours après la fusillade, elle devait empoisonner le café d’un autre membre du clan, toujours en détention. Une tentative qui a finalement échoué. Elle risque, comme les auteurs principaux, la réclusion criminelle à perpétuité.

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