EnquêteDerrière la plainte contre Djimo, une soirée connue de tout le stand-up ?

Derrière la plainte pour viol contre Djimo, le récit d’une soirée sur laquelle le milieu du stand-up a fermé les yeux

EnquêteElise Vigné a porté plainte en mars 2023 pour viol contre Djimo. En janvier dernier, une information judiciaire a été ouverte
Djimo sur la scène du Paname, en février 2022.
Djimo sur la scène du Paname, en février 2022. - Justin Picaud / SIPA
Laure Beaudonnet et Lina Fourneau

Laure Beaudonnet et Lina Fourneau

L'essentiel

  • En janvier dernier, le mouvement MeToo stand-up a été lancé par l’humoriste Florence Mendez. Derrière les accusations d’agressions sexuelles et de viols de l’humoriste Seb Mellia, d’autres histoires ont également été citées sans que les noms ne sortent réellement.
  • Mais depuis un autre humoriste, Djimo, a été placé sous le statut de « témoin assisté » pour « viol commis en réunion » après une plainte déposée par une ancienne régisseuse du Paname Art Café, Elise Vigné.
  • Si elle n’a déposé plainte que contre Djimo, l’humoriste Lenny M’Bunga a également été placé sous le statut de témoin assisté pour complicité de viol commis en réunion.

Rectificatif : la version de notre enquête parue dans notre journal du 06/05/2024 contient une erreur. Il fallait lire « "On danse, on rigole" et quelques échanges de regard ont lieu entre Elise et Lenny » (et non Djimo). Nous présentons toutes nos excuses à nos lecteurs et à l'intéressée pour cette erreur.

C’est l’histoire d’un humoriste qui teste une blague. Pas très drôle. D’ailleurs, il ne la tentera qu’une fois. Une histoire de meuf, comme souvent à cette époque dans le stand-up parisien. On est à la fin de l’été 2015. Ils sont trois : lui, un pote et une fille. Ils se l’échangent pendant la nuit. Elle ne s’en rend pas compte. « Parce que deux noirs se ressemblent », non ? Malaise dans une partie de la salle et surtout en coulisses. La fille existe. Elle s’appelle Elise Vigné, elle est comédienne et travaille au Paname Art Café en tant que régisseuse.

Si elle n’assiste pas au sketch en direct, son confident Akim Omiri, avec qui elle a évoqué cette soirée, fait le lien. Il lui raconte rapidement. « C’est comme si mon corps avait compris ce qui s’était passé, je lui ai vomi dessus », se souvient la jeune femme qui a porté plainte en mars 2023 pour viol. En janvier dernier, une information judiciaire a été ouverte. Djimo et l’auteur du sketch Lenny M’Bunga, deux humoristes de la bande du Paname, ont été placés sous le statut de témoin assisté* pour viol commis en réunion pour le premier et pour complicité de viol commis en réunion pour le second, a détaillé le parquet de Bobigny, confirmant une information de Mediapart.

« Fais attention, il y a des histoires sur lui et Djimo »

La plainte d’Elise Vigné contribue à fissurer un peu plus l’omerta sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu de l’humour. Parmi les nombreuses histoires et légendes qui se racontent dans les couloirs des comedy club, celle d’Elise Vigné a longtemps été l’objet de plaisanteries. « Tout le monde n’est pas capable de mettre un visage ou un nom, en l’occurrence le mien, mais cette histoire est connue », assure Elise Vigné. Elle a même fait le tour du milieu du stand-up parisien. Pour preuve, l’humoriste belge Florent Losson a commenté l’article de Mediapart sur une story Instagram : « Ce qui est fou, c’est que moi, qui n’ai jamais rencontré les protagonistes et ne vais pratiquement jamais jouer à Paris, suis pourtant au courant depuis longtemps de cette histoire ». « Tout le monde savait », conclut-il en gras.

Un autre humoriste – qui a souhaité rester anonyme – raconte à 20 Minutes avoir été témoin d’une discussion dans les loges du Paname Art Café, bien après les faits. Selon son récit, un soir, un membre de l’équipe du lieu, aurait ironisé sur « les meufs avec qui les stand-uppers peuvent coucher ». Mort de rire, il aurait raconté que « deux [humoristes] ont niqué le game là-dessus » en faisant l’amour avec la même régisseuse. Dans la même loge, « six ou sept autres humoristes », dont Lenny M’Bunga, selon cette source, qui rigole et acquiesce. De même, Mélanie* en a entendu parler dès 2017. Venue boire un verre avec une amie qui travaillait pour le comedy club, elle raconte à 20 Minutes avoir été mise en garde. « J’ai discuté avec Lenny M’Bunga, elle m’a dit : « Fais attention, il y a des histoires sur lui et Djimo. Elle a évoqué un viol ».

Du côté du Paname, Karim Kachour, patron du comedy club, n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations. Kader Aoun, à l’époque directeur artistique, assure de son côté se rappeler de bruits de couloir « très imprécis ». « Des rumeurs de ce style, j’en ai entendu sur d’autres humoristes. J’ai toujours été très bienveillant avec Elise ».

« « Ça m’a fait mal de le voir à l’Olympia. Il y avait écrit son nom en haut. Ça m’a tuée. Je n’ai pas dormi » »

Elise Vigné

Une première plainte ignorée

Elise Vigné n’a pas attendu 2023 pour pousser la porte d’un commissariat. Encouragée par Akim Omiri, lui aussi humoriste, elle tente de porter plainte dès 2015. Devant le policier qui la reçoit, elle se sent très vite dissuadée. « Vous voyez tous ces dossiers devant moi ? Ce sont des viols avec du sang jusqu’au plafond. Ce n’est pas votre petit viol avec douceur », lui dit-il. « Vous m’avez l’air jeune, un peu fragile. En plus, ils sont deux. Avez-vous vraiment le courage d’aller jusqu’au bout ? Tiendrez-vous face à deux personnes qui disent le contraire de vous ? », se souvient-elle. Il lui laisse sa carte et lui propose de le rappeler « dans six mois » si elle y pense encore.

« Après, j’ai totalement normalisé ce qui m’était arrivé, parce que je me suis dit : "Si même la police dit que ce n’est rien, c’est que ça ne doit être rien” », explique-t-elle. Neuf ans après, elle a perdu la carte de visite du policier, mais elle pense encore à cette soirée. Elle est même hantée, et sa carrière en pâtit pendant que celle de Djimo décolle. Un soir, elle surprend son père devant un sketch de Djimo dans Le Late d’Alain Chabat sur TF1. « J’ai refusé que mon père puisse rire à ses blagues ». Le déclic qui la pousse à porter plainte, quelques mois avant le show de Djimo à l’Olympia, début 2024. « Ça m’a fait mal de le voir là. Il avait son nom écrit en grand, en lettres rouges, c’est le rêve de tout artiste. Ça m’a tuée. Je n’ai pas dormi ».

En 2015, l’Olympia est encore loin. Comme beaucoup d’autres, Djimo fait ses gammes au Paname Art Café, situé dans le 11e arrondissement, l’un des plus puissants comedy club de la capitale. Il accueille, depuis 2008, les plus grands noms du stand-up qui viennent rôder leurs sketchs dans la petite cave située au sous-sol. Parfois, ça marche, parfois ça bide. C’est le jeu, mais le public est souvent conquis. En fin de soirée, les humoristes finissent la plupart du temps au bar, dans la salle du dessus, où ils décompressent jusqu’à la fin du service, comme ce soir où Elise Vigné – alors âgée de 21 ans – boit un dernier verre avec ses amis, Lenny M’Bunga et Djimo.

Après la soirée, l’incertitude

« On quitte le Paname à la fermeture, on n’avait pas envie de rentrer », raconte la jeune femme. Le groupe décide de se rendre en boîte de nuit, mais se fait refuser l’entrée. Il est tard et Elise, la seule à être véhiculée, propose à Djimo et Lenny M’Bunga de les accueillir dans la maison de ses parents en banlieue proche jusqu’à la reprise des métros. La nuit est déjà mûre, la soirée continue. « On rigole, on danse comme d’habitude. Va savoir pourquoi, ce n’est pas la chose la plus intelligente de ma vie, mais j’ai commencé à avoir des jeux de regards avec Lenny », décrit-elle. La soirée se termine, Djimo part dans une chambre, Elise dans une autre, suivie de Lenny M’Bunga. « Ça s’est décidé assez naturellement », explique-t-elle. Ensemble, ils ont un rapport sexuel consenti.

Lenny quitte alors la chambre et laisse Elise seule. La pièce est plongée dans l’obscurité, volets et rideaux fermés. « Je commence à m’endormir sur le ventre, se souvient-elle. Je n’étais pas forcément à l’aise avec ce que je venais de faire, donc je préférais dormir. Il revient dans la chambre et se remet sur moi. Il est insistant, je lui dis : « Vas-y, bouge, je n’ai pas envie ». Il me pénètre. Je lui dis : « Lenny, bouge. Là, je commence à m’énerver et je le pousse ». Très vite, l’homme s’enfuit, elle se lève, « hyper mal à l’aise ». « Quand je sors de la chambre, je trouve Lenny et Djimo tous les deux en train de rigoler. Je ne comprends pas pourquoi ils sont tous les deux. Je me suis interrogée pendant plusieurs jours. » Le lendemain, après avoir déposé les deux humoristes à la station de métro, elle se confie à son ami Akim Omiri qu’elle considère comme un grand frère.

Un sketch malaisant

Quelques jours après, ce dernier entend la fameuse blague de Lenny M’Bunga depuis les coulisses du Paname. Selon Akim Omiri, à cette époque, Lenny M’Bunga ne raconte que des blagues basées sur des anecdotes de sa vie. « Je connais son style d’écriture à cette période. Il commence son anecdote par "le week-end dernier", c’est pour ça que j’y prête attention. Tout collait. Ça m’a un peu traumatisé de le voir rire sur scène en racontant cette histoire. » Sidéré par la séquence, il ne se souvient plus des autres stand-uppers en coulisses. Il s’avère difficile de trouver d’autres témoins de la blague. En 2015, les spectacles ne sont pas filmés, contrairement à aujourd’hui. L’avocat de Lenny M’Bunga, Me Romain Dieudonné, défend un simple sketch improvisé et juge déraisonnable l’idée d’admettre « une infraction pénale » sur une scène de spectacle.

En quelques semaines, le bouche-à-oreille devient incontrôlable et Elise Vigné décide de quitter Paris pour se réfugier chez sa famille à Cannes. « Je recevais 30 à 40 appels par jour d’humoristes qui voulaient comprendre. Certains étaient compatissants, d’autres dans le jugement, ou curieux ». Dans la foulée, elle apprend l’existence d’un groupe Facebook « Libérez Djimo » où chacun s’autorise à débattre de cette soirée. Il a été supprimé depuis, mais nous avons pu consulter des échanges de messages qui évoquent l’existence de ce groupe. Entre la jeune femme et les deux hommes, les premiers SMS sont virulents, raconte Elise Vigné : « J’envoie des messages à Djimo et à Lenny M’Bunga où je les insulte, je crois que j’ai même inventé des insultes qui n’existaient pas ».

Les avocats de Djimo, Maîtres Gabriel Dumenil et Marc Bailly, n’ont pas souhaité confirmer la réalité du groupe Facebook, ni la teneur des échanges de leur client avec Elise Vigné à la suite de la soirée. Ils déplorent « une cabale médiatique et sur les réseaux sociaux » à l’encontre de Djimo, « présumé innocent ». Selon eux, l’humoriste « a été auditionné à plusieurs reprises pour des faits remontant à près de dix ans et qu’il conteste très fermement ». Si le juge d’instruction saisi n’a pas souhaité mettre Djimo en examen dès le début de la procédure, c’est, selon eux, la preuve que « le magistrat a considéré qu’il n’existait ainsi pas d’indices graves et concordants contre lui ».

Djimo écarté de la promotion de « Fiasco » ?

Depuis la publication de l’enquête de Mediapart, le Paname Art Café a décidé d’embaucher un référent harcèlement. Le comedy club a également signé la charte anti harcèlement pour sensibiliser les patrons de salles indépendantes aux violences sexistes et sexuelles.

De leur côté, Djimo et Lenny M’Bunga ne sont plus programmés dans le comedy club le temps de l’information judiciaire. Djimo est actuellement au casting de Fiasco, la série comique de Pierre Niney et Igor Gotesman, sortie cette semaine sur Netflix. Sur les épisodes que nous avons pu visionner, il apparaît à peine, après avoir été largement mis en valeur au moment du tournage. De même, Djimo est complètement absent de la promotion de la série. Un hasard ? La plateforme de streaming n’était, semble-t-il, pas au courant des accusations concernant le comique avant l’enquête de Mediapart.

Dans le milieu du stand-up, la plainte contre Djimo n’est, elle, pas une surprise. Depuis plusieurs années, les rumeurs d’une enquête de Mediapart sur cette industrie circulent et en inquiètent certains. Elle est finalement publiée en avril dernier dans le sillage du #MeToo stand-up, lancé en janvier par l’humoriste Florence Mendez. Mais, à ce jour, ce n’est pas le raz-de-marée attendu. « Malgré les centaines de témoignages, toutes les recherches menées par les journalistes, les articles qui sortent, au final, on a deux noms qui sont révélés au grand public [Djimo et Seb Mellia] », résume bien le duo comique Camille et Justine dans une vidéo sur Instagram publiée en avril. La plupart des humoristes, contactés dans le cadre de cette enquête, ont préféré rester anonymes. « Je n’ai rien à dire, mais je soutiens », ont répondu de nombreux artistes de cette scène.

Les codes sont en train de changer

Le stand-up a débuté – timidement – son introspection. Tout le monde s’accorde pour décrire un monde sexiste, des blagues sur les femmes souvent humiliantes et des gestes parfois inappropriés. Une ancienne serveuse d’un autre comedy club parisien se souvient, par exemple, avoir refusé les avances d’un humoriste. « Tu viendras me sucer la bite quand je serai plus connu que Kev Adams », s’est-il emporté, selon son témoignage. « Il faut nettoyer ce milieu-là. Il faut que les choses changent », insiste un stand-upper du Paname.

Ça commence à bouger. De plus en plus de femmes se font une place. Déjà en 2015, le Paname organisait des plateaux – une heure de spectacle sur un thème – composés exclusivement de femmes. « Je me disais : "C’est quand même triste, c’est comme si elles ne pouvaient pas se mélanger à l’humour masculin". Puis, je me suis rendu compte que les mecs parlaient très souvent en mal des femmes », note Elise Vigné. Aujourd’hui, des salles comme le Joke imposent des scènes avec au moins une femme pour cinq artistes.

Ambre, la programmatrice de ce comedy club, ne s’arrête pas à des quotas. Parfois, elle présente une scène entièrement féminine, mais c’est rare. « Les femmes qui marchent sont très demandées. Elles ont peu de disponibilités ». Les codes sont en train de changer. Même si, selon elle, « ils mettent du temps à disparaître ».

* Le statut de témoin assisté est souvent défini comme un statut intermédiaire entre celui de témoin et de mis en examen. Au cours de l’instruction, un témoin assisté peut être finalement mis en examen si le juge d’instruction estime qu’il existe suffisamment d’indices graves et concordants.

** le prénom a été changé

  • Selon la loi, le viol concerne « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». Comme pour la plupart des infractions pénales, le taux de classement sans suite des plaintes est élevé et concerne 86 % des violences sexuelles, selon l’enquête réalisée par l’Institut des politiques publiques. Les violences sexuelles et conjugales sont principalement considérées comme insuffisamment caractérisées par le parquet et classées faute de preuves.
  • En matière de violences sexuelles, la dernière enquête de victimation de l’Insee (Cadre de vie et sécurité) révèle que seulement 0,6 % des viols ou tentatives de viol auraient donné lieu à une condamnation en 2020. S’agissant des viols pour lesquels une plainte a été enregistrée par la police, seuls 14,7 % ont donné lieu à une peine.
  • De nombreuses études, recensées notamment par l’association belge Femmes de droits, ont établi que les fausses accusations de viols sont très rares. Elles ne représentent que 2 à 6 % des plaintes, rappelait Causette dans un article publié le 1er février 2022.

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