FUTURAvec le quantique, bientôt des calculs colossaux pour changer le quotidien

« L’informatique quantique va permettre de résoudre d’innombrables défis scientifiques », selon cet expert d’IBM

FUTURAlors que la nouvelle série Dark Matter sur AppleTV + le 8 mai convoque la physique quantique, « 20 Minutes » vous donne les clés pour en comprendre les mécanismes
Image d'illustration d'une salle de serveurs abritant un ordinateur quantique.
Image d'illustration d'une salle de serveurs abritant un ordinateur quantique. - Gremlin / Getty Images
Christophe Séfrin

Christophe Séfrin

L'essentiel

  • La physique quantique est au cœur de la série fantastique Dark Matter lancée sur Apple TV + le 8 mai.
  • Selon Xavier Vasques, vice-président et directeur technique d’IBM Technology et R & D, le quantique permettra rapidement des calculs encore impossibles.
  • Les mondes de la chimie, de l’optimisation, de la crypto, du machine learning pourront dans un premier temps être bouleversés.

Retour vers le futur. Dans Dark Matter, la série diffusée par Apple TV+ à partir du 8 mai, un savant est plongé dans des vies parallèles grâce à la physique quantique.

Pour en comprendre les rouages, 20 Minutes a interrogé Xavier Vasques, vice-président et CTO (directeur technique) d’IBM Technology et R & D. À la tête d’une équipe de trois cent chercheurs, il revient notamment sur l’expérience du chat de Schrödinger évoquée dans la série et nous dévoile comment l’informatique quantique ouvrira, très prochainement, le champ de bien des possibles…

IBM a déjà déployé 60 systèmes de ce type dans le monde
IBM a déjà déployé 60 systèmes de ce type dans le monde - Aleko Suntelis

Comment expliquer ce qu’est un ordinateur quantique ?

L’informatique classique traite l’information avec des 0 et des 1. Soit des petits transistors qui s’ouvrent et se ferment et laissent passer ou non un courant. En effectuant ces opérations, on fait des calculs. Qui restent très simples. Nous codons une application. Nous la compilons. Elle se transforme en 0 et 1.

Xavier Vasques, Vice-président et CTO d’IBM Technology et R&D.
Xavier Vasques, Vice-président et CTO d’IBM Technology et R&D. - IBM

Dans le cadre du quantique, les transistors sont transformés en atomes. On envoie un signal et l’on contrôle les atomes. Lorsque l’on veut avoir l’état d’un atome à l’instant « t », il faut s’imaginer une sphère, avec au pôle Sud l’état 0, et au pôle Nord l’état 1, et une flèche qui part du centre et donc l’extrémité indique l’état dans lequel se trouve l’atome. Cet état, tant qu’il n’est pas mesuré, peut-être une certaine probabilité d’être l’état 1, et une certaine probabilité d’être à l’état 0. Nous sommes en état de superposition.

C’est-à-dire ?

Les physiciens disent : « ne me demandez pas comment ça marche, c’est la nature qui fonctionne comme ça ! ». Pour le commun des mortels, habitué au monde de l’infiniment grand, c’est effectivement difficile à appréhender. C’est l’histoire de l’expérience du chat de Schrödinger. Soit une expérience de pensée en physique quantique conçue par Erwin Schrödinger pour illustrer l’étrangeté de la superposition quantique.

Dans la série Dark Matter, un cube permet à ceux qui y pénètrent de plonger dans des vies alternatives.
Dans la série Dark Matter, un cube permet à ceux qui y pénètrent de plonger dans des vies alternatives. - Apple TV+

Imaginons ainsi un chat dans une boîte fermée avec un dispositif pouvant le tuer de manière aléatoire. Selon les principes de la mécanique quantique, tant qu’on n’ouvre pas la boîte, le chat est considéré comme étant à la fois vivant et mort. Ce n’est qu’au moment où l’on ouvre la boîte que l’état du chat devient l’un ou l’autre, illustrant ainsi les paradoxes de la mécanique quantique appliqués à des objets du quotidien.

Lorsque l’on envoie un calcul ou un signal à un atome, on va justement maîtriser ces possibilités-là.

Parallèlement, il est question d’intrication quantique. De quoi s’agit-il ?

Dans un même système physique existent plusieurs atomes. Si l’on connaît le résultat d’un atome lorsqu’on le sollicite, on connaît celui des autres atomes qui sont dépendants les uns des autres. Ils sont tous liés.

L’intrication, c’est donc comme dans un labyrinthe : un ordinateur classique essaie les chemins les uns après les autres jusqu’à ce qu’il trouve le bon. Avec l’intrication, même si l’on connaît le chemin « un » et que l’on se trompe, on peut connaître le bon résultat tout de suite (car les atomes envoyés pour explorer le labyrinthe sont intriqués). D’où une extrême rapidité.

L'informatique quantique, une puissance exponentielle au service de calculs inimaginables par de classiques ordinateurs.
L'informatique quantique, une puissance exponentielle au service de calculs inimaginables par de classiques ordinateurs. - IMB

De quel ordre, cette rapidité ?

Je vous donne un exemple. Un ordinateur classique met 0,0025 seconde à résoudre une multiplication : N x M = P. N et M étant de très grands nombres, on parle d’une taille de 2048 bits ! Un ordinateur quantique, lui, met 75 secondes !

Mais prenez l’opération inverse : vous connaissez P, mais devez trouver N et M. Dans ce cas, un ordinateur classique met 4,5 milliards CPU années (un CPU année correspond à un million d’opérations par seconde). Le résultat n’est même pas imaginable ! L’ordinateur quantique, lui, mettrait 8 heures selon la configuration de ce dernier. Il est taillé pour ce type de calcul, là où il faut une puissance exponentielle.

Concrètement, à quoi va servir un ordinateur quantique ?

Beaucoup de défis scientifiques ne sont pas résolus aujourd’hui à cause du manque de rapidité de calcul. Celui, notamment, de la modélisation de molécules.

Pour fabriquer une tonne d’engrais, par exemple, il faut brûler une tonne de combustibles fossiles. Cela représente entre 3 et 4 % des émissions de CO2 mondiales. Beaucoup de scientifiques se sont intéressés à ce sujet parce que certaines plantes produisent leurs propres engrais. Pour connaître leurs secrets, on va faire de la modélisation moléculaire. Mais avec des ordinateurs classiques, on ne sait modéliser que des molécules très simples qui ont un à trois atomes. On ignore ainsi comment modéliser celle du café qui comporte vingt-quatre atomes. L’ordinateur quantique, lui, se prête très bien à ce type de calculs. Grâce à lui, on va débloquer des projets comme celui-là. Ou d’autres autour de la batterie du futur, des matériaux qui vont alléger des avions….

L’infiniment petit au service de l’infiniment grand, donc…

Exactement. Autre exemple : comment trouver l’itinéraire idéal pour une flotte de navires délivrant du gaz naturel à travers la planète. Imaginez ainsi cinq cents bateaux, des ports de chargement, d’autres de déchargements. Au milieu, des chemins à trouver prenant en compte la météo, le carburant, les zones où l’on peut passer ou pas. Pour l’armateur, c’est très compliqué de trouver le chemin optimal ! Le quantique, lui, va s’y prêter parfaitement.

Ainsi, IBM travaille par exemple avec ExxonMobil sur ce type de problématique. C’est en phase de construction. Les algorithmes existent déjà. On attend la puissance de calcul qui va se développer.

Le monde de la finance doit être aux aguets ?

Oui, car le quantique aide à avoir de meilleures précisions, des calculs plus rapides. Remplacer les modèles financiers classiques par des modèles quantiques va faciliter l’élaboration de produits financiers durables et non plus basés sur des paramètres limités avec beaucoup d’incertitudes. Face au quantique, les traders vont limiter les risques de manière franche. En filigrane, une croissance beaucoup plus maîtrisée.

Quelle échéance face à toutes ces promesses ?

Il y a des univers ou cela ira plus vite que dans d’autres, comme celui de la chimie. Puis viendront les mondes de l’optimisation, de la crypto, du machine learning pour détecter la fraude, par exemple. Cela va se diluer dans les années qui viennent, même s’il faut rester prudent.

Chez IBM, nous avons une road map depuis 2016. Pour l’instant, on la suit. Ce que l’on sait, c’est qu’en 2029-2030, on aura un ordinateur qui pourrait calculer sans erreur. À partir de 2033, on sera capable de faire des très gros calculs de masse.

À quoi cela ressemble, un ordinateur quantique ?

IBM a déjà déployé soixante systèmes de ce type dans le monde, mais pas encore en France. Un ordinateur quantique tient dans une pièce, contient des atomes, plongés dans une cuve avec de l’hélium liquide proche du zéro absolu, reliés par des câbles. Ce milieu doit être le moins possible perturbé. Ce n’est pas un gros data center comme un terrain de foot.


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