Forces vivesL'Ukraine renforce-t-elle sa mobilisation « trop tard » ?

Guerre en Ukraine : Est-ce que Kiev renforce sa mobilisation « trop tard » ?

Forces vivesLe parlement ukrainien a voté une série de lois visant à muscler la mobilisation de la population alors que les Russes engrangent des gains territoriaux massifs dans la région de Kharkiv
Des  soldats ukrainiens se préparent au début des exercices dans une zone d'entraînement de la région de Jytomyr, dans le nord de l'Ukraine, le 23 avril 2024.
Des soldats ukrainiens se préparent au début des exercices dans une zone d'entraînement de la région de Jytomyr, dans le nord de l'Ukraine, le 23 avril 2024. - Volodymyr Tarasov/Ukrinfo/SIPA / SIPA
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Après des mois de tensions et de tractations, le parlement ukrainien a fini par adopter une série de mesures sur la mobilisation.
  • Ce samedi entre en vigueur une nouvelle loi sur la mobilisation qui permet à Kiev d’envoyer au front les hommes dès 25 ans, contre 27 ans auparavant.
  • D’autres mesures ont été adoptées comme la possibilité de mobiliser certains détenus ukrainiens. Mais pour de nombreux observateurs, ce sursaut est trop tardif.

Mobilisation dès 25 ans, campagne de recrutement en prison, sanctions alourdies pour les réfractaires… Entre avril et mai, la législation ukrainienne sur la mobilisation s’est considérablement durcie.

Alors que les Russes prennent d’assaut la région de Kharkiv, le parlement ukrainien, la Rada, a adopté plusieurs mesures dans l’espoir de réapprovisionner le front. Des ajustements urgents alors que Moscou a engrangé ses plus grandes victoires territoriales depuis fin 2022 lors d’une offensive sur la région de Kharkiv, lancée face à une armée ukrainienne dégarnie.

« Cette mobilisation arrive trop tard », réagit le général Vincent Desportes. L’ancien directeur de l’École de Guerre ajoute qu’il « n’est pas du tout évident que cet effort suffise » sur le terrain alors que les Russes ont récupéré près de 260 km² en une semaine. « Les Ukrainiens n’ont que 87 brigades d’infanterie ou de bataille, ces unités qui vont au contact. Et, en un an, ils n’en ont formé que sept nouvelles », illustre Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, historien et stratégiste.

Une mobilisation de « Tanguy »

La formation de ces nouvelles recrues est d’ailleurs au cœur du problème. « Même pour un simple soldat, si on veut une formation sérieuse, il faut plusieurs semaines », explique Michel Goya pour qui ces forces vives ne pourront se faire sentir sur le terrain que dans « plusieurs mois ». Ces changements législatifs « durs mais nécessaires », selon les mots du chef de la diplomatie américaine Antony Blinken, arrivent donc tard.

L’Ukraine s’est avérée « réticente à engager ses forces vives » dans la bataille, note Vincent Desportes. « Au plus fort de la Première Guerre mondiale, la France a mobilisé entre 5 et 6 millions de personnes [pour une population analogue à celle de l’Ukraine au début de la guerre] contre environ 1 million en Ukraine. L’effort de mobilisation de Kiev n’est pas du tout à la hauteur de ce qu’avait entrepris la France face à une menace mortelle », note l’ancien général.

Et alors que la plupart des pays du monde engagent leur jeunesse dans les combats en cas de conflit armé, l’Ukraine a fait le choix de les préserver. « Je ne connais pas d’autres exemples historiques où un pays a fait le choix de ne mobiliser qu’à partir de 27 ans, c’est complètement inédit. A Gaza, la moyenne d’âge des soldats israéliens tués est de 20 ans ! », souligne Michel Goya.

L’Ukraine a encore « potentiellement de la marge »

Après la Première Guerre mondiale, la France a vécu un choc démographique considérable, une génération entière de jeunes hommes ayant péri sur le front. Kiev « a voulu éviter ça », explique Vincent Desportes qui rappelle que l’Ukraine est une société « plutôt vieillissante », ce qui explique cette volonté politique de « préserver l’avenir ». Mais « cette préservation de la jeunesse est relativement peu conventionnelle alors que le pays est dans une guerre qualifiée d’existentielle », souligne Michel Goya.

« Un pays devrait pouvoir mettre sous l’uniforme 5 % de sa population, au maximum. En Ukraine, c’est entre 2 et 3 % », explique l’historien pour qui il reste donc « potentiellement de la marge ». L’Ukraine a donc dû cesser de louvoyer. Mais, même en ligne droite, le pays va être confronté à une pénurie d’hommes. Avec une population de 38 millions de personnes en 2022, l’Ukraine fait office de nain démographique face à la Russie et ses 144 millions de personnes. Quels que soient les choix politiques, « la capacité de mobilisation russe demeure énorme alors que celle de l’Ukraine demeure faible. Les Russes n’ont pas envie de mobiliser mais ils le peuvent », note Vincent Desportes.

Notre dossier sur la Guerre en Ukraine

Fin avril, le Congrès américain a enfin voté une aide de près de 61 milliards de dollars pour Kiev, fin avril. Entre équipement et formation de ces nouvelles recrues, cette aide permettra de redonner un souffle aux Ukrainiens alors que le blocage de l’aide américaine, qui a duré plusieurs mois, « a coûté très cher en vies humaines », analyse Michel Goya. Mais, même avec un matériel renouvelé et des formations Made in USA, « à la fin, la guerre, c’est poitrine contre poitrine », note Vincent Desportes. Car, comme le rappelle l’ancien général, « ce sont les hommes qui avancent et tiennent les positions, pas les drones ».