Bordeaux : Surcoût, calendrier, environnement… Où en est le projet de méga usine pour batteries EMME ?
industrie•Une nouvelle phase de concertation, qui durera jusqu’au 15 mai, démarre pour le projet « EMME », qui prévoit d’installer près de Bordeaux une usine de traitement du nickel et du cobalt en bord de Garonne, pour un investissement total de 540 millions
Mickaël Bosredon
L'essentiel
- L’usine EMME, sur 33 hectares, prévoit de traiter à partir de 2028 20.000 tonnes de nickel et 3.000 tonnes de cobalt par an, pour en sortir 89.000 tonnes de sulfate de nickel et 9.000 tonnes de sulfate de cobalt, produits nécessaires au fonctionnement des batteries des véhicules électriques.
- Les matières premières seraient livrées par bateau, et les produits transformés stockés sur place dans des containers avant de repartir par bateau également.
- Une partie des habitants de Parempuyre et Blanquefort, communes sur lesquelles le site serait implanté, pointe cependant un certain nombre de risques environnementaux, notamment le risque inondation.
Une nouvelle phase de concertation avec le public, placée cette fois-ci sous l’égide de la CNDP (Commission nationale du débat public), vient de démarrer concernant le projet contesté d’implantation de l’usine EMME près de Bordeaux, en bord de Garonne.
Les porteurs du projet EMME, pour « Electro Mobility Materials Europe », souhaitent installer d’ici à 2028 sur le site portuaire de Grattequina, à cheval sur les communes de Blanquefort et Parempuyre, une usine de transformation de nickel et de cobalt pour les batteries des voitures électriques et hybrides. Le président de EMME, Antonin Beurrier, était cette semaine à Bordeaux pour défendre l’implantation de cette usine sur ce site, alors que des habitants de communes voisines s’y opposent, craignant des risques environnementaux.
Voici ce qu’il faut savoir sur ce projet.
C’est quoi au juste une usine de transformation de nickel et de cobalt ?
Le nickel et le cobalt sont des matériaux utilisés dans les cathodes des batteries lithium-ion des véhicules électriques et hybrides. La masse de nickel contenu dans ces véhicules varie de 40 à 120 kg. Mais pour être utilisés dans les batteries, ces matériaux doivent être transformés d’un état métallique à un état chimique. C’est ce à quoi doit servir l’usine EMME, qui sera capable de traiter 20.000 tonnes de nickel et 3.000 tonnes de cobalt par an, pour en sortir 89.000 tonnes de sulfate de nickel et 9.000 tonnes de sulfate de cobalt par an. « Nous convertissons sous forme de sels les produits qui arrivent chez nous déjà raffinés », résume Antonin Beurrier.
D’où viennent le nickel et le cobalt, et comment seront-ils acheminés ?
Les principales mines de nickel dans le monde se trouvent en Nouvelle-Calédonie, Amérique du Sud et Indonésie. Pour le cobalt, elles se situent au Congo, Australie et Indonésie.
« D’ordinaire le transport routier [en bout de chaine] est plus économique, avance Antonin Beurrier, mais dans notre cas l’acheminement terrestre ne serait pas compétitif, même s’il y a un nœud : la matière arrive de loin, par bateau, et Bordeaux n’est pas situé sur les lignes directes de transport maritime international. Cela aura donc un coût de faire transiter la marchandise par Rotterdam ou Le Havre, avant de la faire venir ici. Mais ce ne sera pas un surcoût important, et surtout c’est l’empreinte carbone la plus réduite. L’économie est donc largement positive. »
Même le transport des matériaux pour la construction du site devrait se faire majoritairement par voie maritime. Quelque 145 modules préconstruits doivent notamment être acheminés par bateau, sur une durée de huit mois.
Lorsque l'usine tournera à plein régime, « nous aurons des volumes importants à transporter, donc le choix d’être en bord de Garonne est essentiel et inhérent au site lui-même », insiste de son côté Sylvie Dubois-Decool, directrice générale. « En revanche, en bord de fleuve, il faut se protéger du risque inondation, sans créer de problèmes à nos voisins », ajoute Antonin Beurrier.
Est-ce dangereux ?
L’usine, si elle se réalisait, serait classée Seveso seuil haut en raison « de risques environnementaux pour le milieu aquatique en cas d’accident ». Un collectif, Alerte Seveso Bordeaux Métropole, estime que « le risque de contamination des sols et des eaux par l’usine est extrêmement élevé avec des conséquences potentiellement graves et persistantes pour la santé humaine et la biodiversité ». Un des représentants du collectif, Jean-Marc Farthouat, indique avoir « peur, notamment en raison de la quantité de produits dangereux, et inflammables, stockés sur ce site ». Le stockage des produits en containers atteindrait par ailleurs « une hauteur de dix mètres » s’indigne cet habitant de Parempuyre. « Cela, on ne vous le montre pas sur les belles images de synthèse du dossier… »
Quel serait le risque de fuite dans la Garonne ? Dans les éléments communiqués dans le dossier de concertation, l’industriel explique que « les produits sont conditionnés dans des big bags étanches, eux-mêmes conditionnés dans des containers scellés, et la matière première est très peu soluble dans l’eau ». Et durant le processus de fabrication du sulfate de cobalt et de nickel, « il n’y a aucune possibilité de fuites car ils sont produits en circuit fermé ».
Le risque inondation est également pointé du doigt. L’association martèle qu’il est « aberrant » de prévoir une usine Seveso en zone inondable. « Comment est-il possible d’imaginer rendre cette zone compatible pour autoriser l’implantation d’une usine Seveso à haut risque en zone agricole, non seulement inondable mais aussi soumise aux risques de submersion par la Garonne ? »
Les éléments du dossier assurent que ce risque est aussi pris en compte. « L’événement retenu pour les modélisations du projet est celui de la tempête de 1999 avec une rehausse du niveau de la mer d’1,20 mètre au niveau du Verdon [correspondant aussi au scénario le plus pessimiste du Giec, avec un réchauffement mondial de + 4,4 °C à horizon 2100]. » Le remblai de l’usine a ainsi « été dimensionné pour une hauteur minimale de 5,50 mètres afin de protéger le site ». « Le risque est surtout que cette quantité énorme de remblai vienne écraser le sol et freiner l’arrivée des eaux souterraines, avec des répercussions sur la montée des nappes phréatiques à Parempuyre », s’inquiète de son côté Jean-Marc Farthouat.
Quel est le coût du projet ?
Le programme est désormais chiffré à 540 millions d’euros, puisqu’il intègre 40 millions d’euros de surcoût : « 20 millions d’euros en raison du décalage du projet de six à huit mois après les nouvelles phases de concertation, et 20 millions d’euros en raison du redimensionnement du projet » pour réduire son imperméabilisation. « Les investissements de base - pour les bâtiments, les machines… - atteignent désormais 340 millions d’euros avec ces surcoûts, détaille Antonin Beurrier. Les études d’ingénierie, les simulations, les tests, avoisinent les 100 millions d’euros. Puis il y a les frais de mise en service (constitution de stocks, recrutement…) qui atteignent là aussi les 100 millions d’euros. »
Quelles retombées pour la région ?
Les porteurs du projet indiquent qu’ils veulent s’inscrire dans un « écosystème » regroupant 85 acteurs de la filière batterie en Nouvelle-Aquitaine. « Nous ferons travailler des sous-traitants, et nous espérons vendre nos produits à des clients comme SAFT. » Le site devrait par ailleurs employer environ 200 personnes, et générerait 300 emplois indirects.
Antonin Beurrier souligne également que cette usine répondrait à des enjeux de décarbonation, sachant que « la production de véhicules électriques dépend fortement de matières premières raffinées en Chine, où les processus sont associés à de fortes émissions de CO2 ». Le projet EMME permettrait ainsi d’économiser « 1,6 million de tonnes de CO2 par an ». « C’est tout simplement le plus grand projet de décarbonation de toute la région », selon le PDG.