On était au procès lunaire du citoyen souverain qui ne contracte (toujours) pas

« Je vous récuse tous »… Le procès lunaire du citoyen souverain qui ne contracte (toujours) pas

Un autre mondePierre Legrand, « homme libre » et « citoyen souverain », comparaissait devant le tribunal judiciaire de Dunkerque pour avoir notamment refusé de se soumettre à un contrôle de gendarmerie dont la vidéo a fait le tour du monde
Mikaël Libert

Mikaël Libert

L'essentiel

  • Il y a un an, le contrôle routier de Pierre Legrand a dégénéré, celui-ci refusant de se soumettre en affirmant qu’il « ne contracte pas » avec les autorités.
  • Une attitude liée à son appartenance au mouvement complotiste des citoyens souverains qui voit dans les institutions des entreprises commerciales.
  • Le prévenu comparaissait pour des violences envers un gendarme ainsi que pour des infractions au Code de la route. Il a été condamné à cinq mois de prison avec sursis.

Au tribunal judiciaire de Dunkerque (Nord),

Ce mardi matin, au tribunal judiciaire de Dunkerque, se déroulait le procès de Pierre Legrand, le « citoyen souverain » interpellé il y a un an pour avoir refusé de se soumettre à un contrôle de gendarmerie. Une audience lunaire de 1er avril, pour des faits survenus un 1er avril, à tel point qu’a tout moment on s’attendait à voir la présidente du tribunal se lever et annoncer qu’il s’agissait d’un prank (canular). Ce n’était pas le cas.

Le prévenu arrive au tribunal en mode « Marlboro man », pantalon et veste en jeans, chapeau de cow-boy. Rien de neuf, il s’habille toujours ainsi. Dans la salle, sa compagne et lui sont les seuls à ne pas se lever quand la présidente fait son apparition. Ils ne contractent toujours pas. Appelé à la barre, Pierre Legrand explique qu’il n’a pas d’avocat : « Je suis l’unique mandataire de la personne Pierre Legrand déposée à l’INPI. » Ok. La présidente laisse glisser et passe à l’énoncé des charges et au rappel des faits.

« Je vous récuse, je récuse ce tribunal »

Violences sur un militaire de la gendarmerie sans incapacité, conduite d’un véhicule sans assurance ni contrôle technique, refus de se soumettre aux dépistages d’alcool et de stups. En réponse, le citoyen souverain attaque de front la procureure : « Si elle reste là, c’est qu’il n’y a pas de séparation des pouvoirs comme le veut la déclaration des droits de l'homme de 1789. Je vous récuse, je récuse ce tribunal. » Ça commence fort.

S’ensuit une sorte de dialogue de sourds entre une présidente qui peine à garder son calme et un prévenu qui reste enfermé dans une logique qui ne l’est qu’à ses yeux. Pour Pierre Legrand, la gendarmerie, le tribunal, la France, bref, toutes les institutions, sont des entreprises avec lesquelles il ne contracte pas. La seule « autorité » qu’il reconnaît et dont il se réclame, c’est la « Common Law Court », un délire complotiste du mouvement des citoyens souverains. Le prévenu est tombé là-dedans pendant le Covid, après qu’Emmanuel Macron a qualifié les antivax d’irresponsables qui ne sont plus des citoyens. Antivax lui-même, il s’est senti personnellement visé par les propos du président. « Il m’a déchu de ma citoyenneté, je fais donc valoir mes droits de non citoyen », se défend Pierre.

En attendant, l’audience tourne en rond. Le contrôle technique, l’assurance ? « Des décrets sans valeur. » Tout comme le Code de la route, « une loi caduque » selon lui, Napoléon III et textes du XVIIIe siècle à l’appui. La présidente respire par le nez : « Ça veut dire que vous dictez vos règles. » « Et si vous causez des dégâts aux autres sur la route », poursuit la magistrate ? « Avec des "si", si ma tante en avait, on l’appellerait mon oncle », rétorque-t-il, s’excusant tout de même d’être « impoli ».

« Je ne me soumets à personne »

Pourtant, en garde à vue, Pierre a reconnu tout ce qui lui était reproché exception faite des violences envers les gendarmes. S’il assume d’avoir redémarré la voiture alors qu’un militaire avait le bras dans l’habitacle, le prévenu invoque la légitime défense : « J’ai eu peur, ils ont quand même pété trois vitres et ils étaient armés. »

Le plus fou, c’est lorsque l’on apprend au cours de l’audience que Pierre a vrillé à cause d’un seul mot « soumettre ». « Pourquoi ne pas avoir accepté de vous soumettre au contrôle, ça aurait été plus simple », tend la présidente en guise de perche. « Je ne me soumets à personne », bondit le prévenu, invoquant une posture liée à « des choses vécues » dans son enfance. « Si les gendarmes m’avaient dit "soufflez dans le ballon s’il vous plaît", je l’aurais fait », ajoute-t-il.

Comme l’a fait la présidente lors de l’audience, la procureure s’en tient aux faits dans son réquisitoire, sans même se donner la peine de balayer les arguments du prévenu. Des « faits simples et caractérisés » selon la magistrate, qui rejette la « légitime défense » et réclame 10 mois de prison avec sursis et 135 euros d’amende pour le défaut de contrôle technique.

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Pierre est finalement condamné à cinq mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve de 5 ans. « Je reste sur ma position de récusation », réagit le citoyen souverain avant de confier, hors de la salle, qu’il s’y « attendait ». Il a été seul contre tous pendant une heure et demie, face au visage blasé de la présidente, au regard dépité de la procureure, aux sourires contenus des gendarmes, aux postures abasourdies du public. Conforté par sa défaite dans des positions pourtant intenables, Pierre est allé jusqu’à évoquer un « procès politique ». L’histoire n’est pas finie puisqu’il y aura un éventuel match retour, le citoyen souverain ayant déposé une plainte avec constitution de partie civile. A suivre…