Condamnation de Marine Le Pen : La manifestation de dimanche, un faux air de « capitole » à la française ?
Manifestation•Selon Erwan Lecoeur, spécialiste de l’extrême droite, la mobilisation de dimanche va mettre dans la rue « des gens très en colère », des militants « chauffés à blanc »
Romarik Le Dourneuf
L'essentiel
- Alors que Marine Le Pen a été condamnée à une peine d’inéligibilité de cinq ans, Jordan Bardella, président du Rassemblement national et possible futur candidat à l’élection présidentielle de 2027, a appelé ses soutiens à manifester dimanche à Paris.
- Une mobilisation rare pour les militants d’extrême droite mais qui pourrait dégénérer, selon le sociologue Erwan Lecoeur. En cause, les accusations et attaques des cadres du parti contre la justice, les magistrats et le gouvernement.
- La manifestation peut-elle se transformer en « assaut du capitole » à la française ou en une « forme de coup d’Etat » ? Possible, selon le spécialiste de l’extrême droite, qui y voit l’abandon de la stratégie de la cravate par Bardella et un retour aux méthodes du Front national.
A quelle vague s’attendre ? Reconnue coupable de détournements de fonds publics, Marine Le Pen a été condamnée lundi à une peine de quatre ans de prison, dont deux ferme, à effectuer sous bracelet électronique. Mais aussi, la double candidate à l’élection présidentielle écope d’une peine d’inéligibilité de cinq ans à exécution immédiate.
« Coup d’État », « tyrannie judiciaire », « atteinte à la démocratie »… Depuis l’annonce de la condamnation, les cadres et soutiens du parti d’extrême droite se font entendre sur tous les plateaux. Mais ce n’est pas suffisant, puisque Jordan Bardella, président du Rassemblement national a appelé les militants et sympathisants à se rassembler à Paris dimanche prochain.
Une manifestation extraordinaire à tous points de vue
Cette manifestation revêt un caractère extraordinaire selon Erwan Lecoeur, sociologue et politologue interrogé par 20 Minutes. « Même s’il y a des exemples dans l’Histoire, la droite et l’extrême droite ont peu l’habitude de se mobiliser sous cette forme », explique ce spécialiste de l’extrême droite. Sauf pour certaines thématiques qui touchent aux valeurs « traditionnelles » comme la défense de l’école privée dans les années 1980 ou contre le mariage pour tous en 2013. « Ici, c’est très différent. Il est question de défendre une personne, c’est absurde », précise Erwan Lecoeur.
Absurde, peut-être pas pour tout le monde, selon le chercheur, qui y voit du zèle de la part de Jordan Bardella, « premier bénéficiaire de la condamnation de Marine Le Pen ». En matérialisant son soutien à la vraie cheffe du RN, le président du parti peut ainsi prendre les commandes et mener une fronde. Un peu à la manière de l’attaque du capitole de 2021, selon Erwan Lecoeur : « Bardella adore Trump. Et là se pose la question de savoir contre quoi, contre qui veut-il manifester ? La justice, l’Etat, et par là, le gouvernement qu’il veut renverser. »
La fin de « la stratégie de la cravate »
Le chercheur poursuit : « Il sait qu’il met dans la rue des gens très en colère. » Des militants chauffés à blanc par les termes de « tyrannie » ou de « dictature » employés depuis ce lundi par le parti d’extrême droite.
Ce mardi encore, en conférence de presse, Marine Le Pen en a rajouté une couche : « On ne se laissera pas faire », « ne vous laissez pas intimider », « nous allons gagner ».
« Ce qu’ils préparent est exactement ce qu’ils dénoncent, une forme de coup d’Etat », commente Erwan Lecoeur, selon qui Jordan Bardella a décidé d’en finir avec « la stratégie de la cravate ». Fort de son électorat, du contexte international et des soutiens venus des Etats-Unis et de la Russie, c’en est « terminé du Rassemblement national et de sa dédiabolisation », « on va retrouver l’ancien Front national », prédit le sociologue, qui voit également la manifestation de dimanche possiblement faire des dégâts.
Le spectre « des ligues factieuses » n’est alors pas loin, « parce que ce n’est rien d’autre que ça qui nous attend », rappelant la période des ligues du général Boulanger à la fin du XIXe siècle. Sans compter les groupuscules d’extrême droite prêts à « passer à l’action » sur les réseaux ou dans la rue. Petite éclaircie qui pourrait faire retomber en partie la tension : la cour d’appel de Paris a indiqué mardi qu’elle envisage de rendre une décision « à l’été 2026 », soit près d’un an avant la présidentielle.